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Chroniques
La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi
L’Opéra national de Paris joue décidément de malchance : après la prévisible annulation d’Anja Harteros en Maréchale du Rosenkavalier (Strauss), c’est au tour de Sonya Yoncheva de décevoir un public qui la suit depuis ses débuts à l’Opéra Comique, en Leïla des Pêcheurs de perles (Bizet) en juin 2012 et qui était impatient de découvrir sa vision de la Traviata. Pour la remplacer, l’on choisit très logiquement Maria Agresta, qui devait incarner Violetta en alternance avec elle. Déjà à Bastille en Elvira d’I Puritani (Bellini) en novembre 2013, elle a depuis interprété Mimi de La bohème (Puccini) en mars 2014, deux prestations particulièrement appréciées. Sa dernière apparition parisienne date de cet hiver où elle incarnait avec fougue le rôle-titre dans la Norma controversée du Théâtre des Champs-Élysées [lire notre chronique du 17 décembre 2015]. Elle semble avoir enthousiasmé le public londonien en mars dernier dans ce même rôle. Que se passe-t-il donc en ce soir de première ? La jeune diva, qui n’a pas encore fêté dix ans de carrière, semble extérieure et quelque peu étrangère au personnage. Elle en assume cependant sans difficulté les trois tessitures : colorature au premier acte, lyrique au deuxième et lirico spinto au dernier.
Ainsi, È strano, qui clôt le premier acte, est-il couronné par le mi bémol final très attendu, au lieu du si bémol écrit par Verdi. Mais l’émotion, la tendresse et le drame en sont désespérément absents. Le duo avec Germont (II) la montre plus énergique et résolue qu’aimante et sacrificielle. Seul Addio del passato, dont elle donne les deux couplets, arrive finalement à émouvoir. Du coup, son dernier acte lui vaudra un triomphe un peu inespéré. Il est vraisemblable qu’elle n’a pas eu le temps de répéter ce rôle tant redouté et qu’elle ne put s’intégrer dans la sinistre production de Benoît Jacquot, reprise pour une troisième série de représentations. Les idées-force du cinéaste continuent de décevoir : l’omniprésent fond noir du décor lasse et fatigue. La fête au premier acte est donnée dans la chambre à coucher de Violetta constituée presqu’exclusivement d’un gigantesque lit à baldaquin orné d’une réplique de l’Olympia de Manet, au cas où le spectateur aurait oublié que la Dévoyée était une demi-mondaine. On en profite pour maquiller Annina, sa servante, comme celle du tableau. On aperçoit une soixantaine de personnages masculins en frac et haut de forme noirs, invités de la soirée et qui émergent de la noirceur du décor. Où sont passées les invitées de Violetta qui, elle, est parée comme Flora d’une toilette de l’époque ? Au deuxième acte, l’intervention des bohémiennes et des toréros qui prélude au drame est volontairement provocatrice : les unes sont particulièrement masculines et les autres ont une fragilité toute féminine. Ce ballet de travestis plonge le spectateur novice dans le doute et la perplexité…
Željko Lučić est un Germont plein d’autorité et d’humanité. En habitué du rôle dans les grands opéras de la planète, le baryton serbe séduit par un chant fort maîtrisé et une incarnation à la sévérité pleine de tendresse. Son air Di Provenza il mar est un modèle du genre, même si certaines notes sont mal assurées. Brian Hymel, qu’on n’attendait pas dans ce répertoire italien, déçoit. Alors qu’il s’est illustré dans les emplois berlioziens, le grand ténor n’a pas grand chose à apporter à Alfredo où pléthore de stars laissèrent des témoignages bouleversants. L’émotion est quasiment absente dans son interprétation théâtralement faible. Elle laisse la place à une vaillance rutilante bien inutile. Le desservent ses moyens spectaculaires, qui en font un Énée et un Faust exemplaires, à l’exception de la cabalette qui ouvre le second acte, O mio rimorso qu’il ponctue d’un extraordinaire contre-ut, ad libitum, qui lui aussi n’est pas de la main de Verdi.
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris des meilleurs jours, le jeune Michele Mariotti fait merveille. Depuis ses débuts remarqués à Salerne en 2005, il est très demandé en Italie comme à l’étranger. Il dirige ainsi les plus grands orchestres dans les lieux les plus prestigieux. Sa direction surprend par son côté analytique qui rappelle le travail des chefs du domaine baroque : aucune reprise n’est dirigée de la même manière, la partition est comme ciselée. Il marque de courtes pauses dans les préludes des premier et troisième actes, insistant çà et là sur un moment-clef de la mélodie pour en exalter souffrance et drame. Ce travail subtil et fin est parfaitement suivi par les musiciens qui semblent visiblement heureux de cette conception originale. Sa lecture, qui respecte les chanteurs, n’en est pas moins pleine de chaleur et de tendresse, la passion ne quittant pas la baguette.
Une Traviata perfectible qui, au fil des soirées, donnera sûrement l’occasion à Maria Agresta et Brian Hymel de perfectionner leurs interprétations et de combler leurs admirateurs, en attendant leur confrontation avec le Germont de Plácido Domingo, les 17 et 20 juin prochains.
MS