Chroniques

par christian colombeau

La voix humaine – Les mamelles de Tirésias
opéras de Francis Poulenc

Opéra de Toulon Provence Méditerranée
- 20 janvier 2006
les deux opéras brefs de Francis Poulenc à l'Opéra de Toulon
© khaldoun belhatem

Mieux vaut tard que jamais… car voilà une initiative particulièrement heureuse à mettre à l'actif de Claude-Henri Bonnet, Directeur de l'Opéra de Toulon. Quoi de plus naturel en effet que de coupler dans la même soirée La voix humaine et Les mamelles de Tirésias, comme un hommage à Francis Poulenc ? Le tout emballé dans une nouvelle production maison que n'aurait sans doute pas reniée le compositeur lui-même, tant l'approche d'Olivier Bénézech se révèle intelligente, novatrice, vivante, colorée, spirituelle, bourrée d'idées, bref, de talent.

On sait que La voix humaine ne demande pas des moyens vocaux particuliers et n'est pas destinée à une tessiture bien précise. Utilisant un parlando naturel entrecoupé de rares bouffées de lyrisme, le drame de Cocteau et Poulenc, lui, prête souvent à rire : certains dialogues de l'héroïne avec l'opératrice rappellent irrésistiblement les démêlés du Capitaine Haddock avec la Boucherie Sanzot ! Autre temps, autres mœurs, autre technique…

Dans un huis clos glacial, sobre, aux lumières oppressantes, Anne-Sophie Schmidt, belle à damner le bottin hexagonal avec ses allures de star hollywoodienne rousse flamboyante, s'immerge dans son personnage de femme abandonnée avec la plus sincère émotion, sans une once de cabotinage. Passant de la tendresse à l'angoisse, de l'espoir à la résignation, utilisant une voix riche, ronde, fruitée et épanouie, l'artiste donne des accents inouïs de tragédie grecque à ce qui n'est finalement qu'un banal fait divers sentimental, le téléphone étant en fait l'alter ego de la voix – voix d'une diva qui se joue des difficultés de la partition, de ses incessantes ruptures de rythmes et d’une harmonie recherchée et difficile. Un grand moment de théâtre, un grand moment de musique, un grand moment de chant.

Après les larmes de Cocteau, les sourires d'Apollinaire…
On ne dira jamais assez combien Poulenc est de ceux qui honorent la musique française. Son talent si évident dans la tragédie est autant percutant et miraculeux dans une œuvre aussi divertissante que Les mamelles de Tirésias, pleine de charme et d'esprit. Et le texte d'Apollinaire colle si bien aux trouvailles harmoniques, aux beautés mélodiques du compositeur ! Le tout donne un opéra bouffe à la saveur irrésistible – Zanzibar est situé sur la Côte d'Azur : à vous d'imaginer le lieu exact.

Sous le regard bienveillant et affectueux d'un François Le Roux, tour à tour Directeur et Gendarme, toujours aussi smart, percutant, truculent dans cette double composition, Renate Arends, jeune et ravissante Thérèse, fait preuve d'un abattage sidérant, d'une virtuosité à toute épreuve. Elle assène ses trois contre-uts sans l'ombre d'un effort, le tout dans un rayonnement intense de pureté et de clarté. Son élégant partenaire Thomas Morris, au timbre chaud et charmeur, est un mari idéal assez cocasse qui devient in fine la femme… de sa femme ! Ces situations tout à fait délirantes sont, de plus, vécues avec beaucoup d'esprit.

Une fois dit que les décors et costumes d'Olivier Millagou et Frédéric Olivier forment un écrin de rêve à ces bijoux musicaux – délirante Riviera, en seconde partie –, on s'attardera plus longuement sur la direction de Laurent Campellone : sensualité morbide et latente en première partie, vitalité d'un feu d'artifice spirituel et coloré en seconde. De la belle ouvrage, sans prétention avec un côté Caf'conc' qui aurait certainement enthousiasmé le Moine Voyou.

CC