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Chroniques
La Wally
opéra d'Alfredo Catalani
Voilà vraiment ce qu’on peut appeler de la grande route alpine ! Après le concert symphonique à Stuttgart [lire notre chronique de la veille], rouler jusqu’à Ulm, Memmingen, Kempten et Füssen n’a rien de compliqué. À la moitié du chemin, c’est l’occasion d’un bon déjeuner en terre bavaroise, à quelques kilomètres de l’Autriche. De là, gagner le Tyrol se révèle plus tendu… Les méandres du Fernpaß n’ont rien de rassurant par temps de fin d’hiver et l’abord d’Innsbruck, après un bref parcours en plaine, est aussi celui des hauteurs et des cols, culminant au Brenner qui ouvre la voie vers les dolomites italiennes. Si la première partie du voyage n’a duré qu’un peu moins de trois heures, il m’en faut près de cinq pour atteindre Bolzano – ou Bozen, pour ceux qui préfèrent l’appellation germanique de cette terre peut-être plus tournée sur feu le vieil empire du nord que vers la douce Italie.
De montagnes, nullement question dans la mise en scène de Nicola Raab ! Bien que l’argument de La Wally s’appuie essentiellement sur les mœurs d’un village alpin et la rude vie qu’imposent les cimes et leurs caprices météorologiques, la signataire de cette nouvelle production du Teatro Comunale a choisi l’abstraction, sans aucune référence naturaliste ni soumission au romantisme qui peut, sous bien des aspects, être le fer de lance du discours libertaire et féministe qu’elle revendique. Seuls les costumes de Julia Müer font vaguement allusion au texte inspirateur, La Wally aux vautours de Wilhelmine von Hillern (1875). Dans le décor de Mirella Weingarten, les Alpes ont disparu au profit d’un espace abstrait, dessiné par les lumières radicales de Clifton Taylor, dominé par deux blocs écrasants dans l’étau desquels les personnages sont enfermés.
En 1931, le très prolifique Guido Brignone (1886-1959), célèbre pour la trilogie Maciste (1924/26) qui constitue ses derniers muets, tournait le quarante-quatrième de ses quatre-vingt-quinze films, La Wally (un des premiers parlants) : plutôt que de puiser dans la pièce originale, Gian Bistolfi, son scénariste, utilisait le livret conçu par Luigi Illica pour l’opéra d’Alfredo Catalani, créé quarante ans auparavant à La Scala de Milan. Est-ce la raison qui a dicté ce spectacle en noir et blanc, peut-être en hommage au cinéaste lombard ?... Dans cette scénographie particulière, Nicola Raab concentre sa direction d’acteurs sur l’opposition de l’héroïne avec un milieu villageois essentiellement masculin et oppressif. Wally y est d’abord championne de l’anticonformisme, plutôt que victime de ses sentiments. Mue dans un cartable de bons sentiments lourd comme un sac à bivouac, l’option se perd dans le portrait caricatural des hommes, écueil qui discrédite celui de la courageuse Wally qui se trouve assez bêtement victimisée – l’hypersexualité machiste de Vincenzo est un procédé grossier, de même que l’insistance sur le père tyrannique et sur la sensibilité presque équivoque de Giuseppe. Faisant l’impasse sur le conflit de génération et l’enracinement du drame dans son temps, cette approche essentiellement manichéenne oublie de raconter l’histoire et juge sans appel les personnages. Oh, que c’est barbant !
La limite de la mise en scène est compensée par une distribution vocale efficace. À commencer par la clarté prodigieuse de Ferdinand von Bothmer qui prête un ténor vaillant et précis à l’amant, Giuseppe [lire nos chroniques de Cardillac, Armide, Benvenuto Cellini et Alzira]. Un peu poussif, le baryton-basse Alessandro Guerzoni sert le vieux Stromminger par la puissance, à défaut d’une justesse parfaite. On retrouve avec plaisir l’excellent Ashley David Prewett [lire nos chroniques de La bohème et de Francesca da Rimini] : il campe un Vincenzo Gellner très impacté, puissant, qui dispose d’un aigu joliment cuivré et de la morgue nécessaire à l’adoption de la vision univoque de la metteure en scène. Dans le rôle-titre, l’opulence lyrique de Charlotte-Anne Shipley est idéale et mène droit à l’émotion. Bien que le timbre soit un peu monolithique, le phrasé est riche et la musicalité incontestable. À l’exception d’une Afra vraiment trop terne, les rôles secondaires ne sont pas en reste : Francesca Sorteni offre un chant facile et charmant à Walther, tandis que la voix solide d’Enrico Marchesini livre une méditation prenante en Promeneur de Schnals – un lieu situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Bolzano.
Chef principal de l’Orchestra Haydn di Bolzano e Trento depuis cinq ans, l’Estonien Arvo Volmer intervient pour la première fois dans cette fosse, étant parallèlement directeur musical de l’Opéra de Tallinn (Rahvusooper Estonia). Sa lecture de La Wally soigne un récit symphonique déterminant, dans une couleur généreuse, parfois wagnérienne, mais un phrasé résolument italien qui se fait le complice précieux des chanteurs et du drame. Loin de la froideur de l’élément scénique, la proposition de Volmer bouleverse le mélomane. Félicitons les choristes de Vocale Continuum dont la performance irréprochable fut minutieusement préparée par Luigi Azzolini. Malgré tout, je quitterai l’Alto Adige avec le sentiment d’être allée à la recherche de baleines dans le Sahara…
KO