Chroniques

par irma foletti

Lalla-Roukh
opéra-comique de Félicien David

Wexford Opera Festival / National Opera House
- 30 octobre 2022
Orpha Phelan met en scène "Lalla-Roukh" de Félicien David à Wexford...
© clive barda

Programmer Lakmé ou Les pêcheurs de perles relevait sans doute d’une certaine audace il y a trente ans, mais qu’en est-il aujourd’hui, alors que ces titres ont été régulièrement proposés depuis dans plusieurs théâtres ? Poursuivant son action de mise au jour d’opéras français oubliés, c’est d’un véritable courage que fait preuve le Wexford Festival Opera en plaçant à son affiche l’opéra-comique en deux actes Lalla-Roukh de Félicien David [lire nos chroniques du Quatuor à cordes en fa mineur n°1, d’Herculanum, Christophe Colomb à La Côte-Saint-André et à Tourcoing, puis du Désert, ainsi que notre entretien avec Alexandre Dratwicki]. Le festival fait aussi intelligemment le lien avec le livret de Michel Carré et Hyppolyte Lucas, rédigé d’après le poème Lalla Rookh de Thomas Moore, né à Dublin d’une mère originaire de Wexford.

Comme chez Delibes ou Bizet, l’exotisme est bien présent dans l’opus avec l’avantage, pour les âmes sensibles, d’un dénouement heureux. Un bémol est à apporter, toutefois, en ce qui concerne la production que nous avons vue : les dialogues sont supprimés et remplacés par un texte anglais écrit par Timothy Knapman et dit par Lorcan Cranitch, qui tient un rôle de narrateur au sein de la distribution. On comprend aisément que cette solution facilite grandement la compréhension du public local, mais les interventions de l’acteur, formidable diseur au demeurant, sont longues et prennent le risque de dénaturer l’ouvrage. Le public rit de bon cœur, mais on a le désagréable sentiment, à plusieurs moments, que cet one-man-show intermittent déséquilibre l’ensemble.

Quant à la mise en scène d’Orpha Phelan [lire notre chronique de Fidelio], le premier coup d’œil à l’action sur scène, pendant l’Ouverture, est plutôt favorable. Fruit de la scénographie de Madeleine Boyd, une devanture du salon de thé Leila O’Rourke’s Tea Emporium apparaît avec des personnages qui commencent à peupler l’intérieur, tandis qu’un SDF pousse un chariot de supermarché – en fait, c’est le narrateur évoqué plus haut qui tire plusieurs objets de la poubelle. Rapidement, la foule, dans des costumes bigarrés signés également de la décoratrice, semble former un bal masqué teinté d’une touche circassienne, en considérant le choriste perché sur échasses. À son arrivée, Lalla-Roukh sort d’une peu poétique poubelle, puis se fait saluer par quelques cris d’animaux. On se dit alors qu’il n’est peut-être pas particulièrement utile de sortir une œuvre de l’oubli si c’est pour s’en moquer en lui ôtant la délicatesse de son charme.

Des ballets viennent agrémenter favorablement l’action, parfois davantage irlandais qu’orientaux, dans un sympathique clin d’œil, mais là encore les yahou! sur scène perturbent l’écoute de cette musique rare. Les choses s’arrangent considérablement au second acte, quand disparaît le décor du salon de thé, laissant à disposition un plus grand espace, débarrassé du groupe des choristes qui ne reviennent que pour la scène finale.

Dirigé par Steven White, l’opéra de Félicien David [lire notre chronique du CD], créé en 1862 à Paris, est un petit enchantement, idéalement équilibré et tour à tour raffiné ou enlevé. Les musiciens de l’Orchestra of Wexford Festival Opera ne relâchent par leur concentration – le cor solo, par exemple, dès l’Ouverture – donnant dans l’ensemble un très beau résultat. Les artistes du chœur offrent également un beau cadeau en délivrant un français d’une qualité fort appréciable.

Seule francophone distribuée parmi les rôles principaux, Gabrielle Philiponet enchante dès l’air d’entrée du rôle-titre, Sous le feuillage sombre, qu’on connaît au disque par plusieurs soprani. La voix, fraîche et d’une belle couleur, se déploie sereinement, tout en soignant la prononciation du texte [lire nos chroniques de Scènes de chasse, Il viaggio a Reims, Dimitri, Le marchand de Venise, La bohème à Metz et à Massy, enfin de Carmen]. En Nourreddin, le poète-chanteur aimé de Lalla-Roukh et qu’elle pourra finalement épouser après qu’il se sera révélé roi, le ténor Pablo Bemsch fait entendre un timbre émis trop dans le masque pour vraiment séduire, dans un français souvent insuffisant. Il n’en chante pas moins toutes les notes du rôle et fait preuve de vaillance et d’application pour conduire la ligne vocale. Le baryton Ben McAteer en Baskir possède une diction remarquable, alliée à un timbre riche et bien projeté, un peu discret dans le grave mais faisant preuve d’autorité. Les paroles émises par le mezzo Niamh O’Sullivan en Mirza sont moins facilement accessibles, le chant étant puissant et accompagné par un agréable vibrato [lire nos chroniques de Der Diktator et De la maison des morts]. La distribution est complétée par les deux comprimari Emyr Wyn Jones (Bakbara, baryton-basse) et Thomas D Hopkinson (Kaboul, basse). Grand succès au rideau final.

IF