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Chroniques
l'alto de Christophe Desjardins
œuvres de Béranger, Grisey, Harvey, Jarrell et Nunes
Même un dimanche matin à onze heures, c’est avec un très grand plaisir que l’on se rend à un récital Christophe Desjardins ! On ne présente plus l’altiste que l’on entend régulièrement dans les concerts de l’Ensemble Intercontemporain (qui le compte parmi ses solistes depuis plus de dix ans). Sur la petite scène du Palais du Rhin, dans ces murs élégamment délabrés aux couleurs exquisément passées, il captive le public.
Le programme s’ouvre avec ...Somes leaves...II de Michael Jarrell, une pièce que Christophe Desjardins a beaucoup jouée depuis la création (il y a cinq ans), tonique, nerveuse même, requérant une impressionnante profusion de techniques de jeu différentes. Virtuose à l’extrême, cet opus montre un soliste ahurissant de vivacité, de précision et de présence, qui en rend l’écoute particulièrement excitante par de violents contrastes et un alto toujours tendu qui en transcende l’intense force expressive. C'est toujours une possibilité d'intimité supplémentaire avec la musique que de la jouer sans partition ; c'est assez rare dans les concerts de musique contemporaine pour mériter qu’on le souligne. Les oeuvres étant, la plupart du temps, entendues pour la première fois – ou la deuxième, au mieux la troisième –, donc « fraîchement », le par cœur a la vertu immédiate de rendre plus attentif, comme si l'admiration qu’inspire le soliste exigeait en retour une qualité d'écoute et de concentration qui permette de ne pâlir pas. Le résultat – et ce n’est pas négligeable –, c'est qu’on perçoit l'œuvre beaucoup plus précisément (l'exercice n'a aucun intérêt dans le cadre d’un programme de musique ancienne, si ce n'est de faire complaisamment plaisir à un public qui en a pris l'habitude sans s'interroger sur le bien-fondé du numéro).
Nous entendons ensuite une œuvre en création, Le triangle de Pascal, composé spécialement à l’attention de Christophe Desjardins par le jeune Sébastien Béranger. On y percevoir un jeu sur différents types d’attaques, une exploration méthodique de diverses manières d’appréhender le son, allant chercher des aigus un peu voilés, utilisant des effets non dépourvus de lyrisme. Tout cela répond à une construction solide et ne relève pas du seul procédé. Cependant, l’on reste sur une impression de vertige énonciatif. On peut entendre là le germe d’un travail à venir qui saura le plus aboutir. Pour information : Sébastien Béranger est né à Reims il y a vingt-cinq ans ; il étudia dans cette ville puis à Lille. Il a obtenu les prix d’analyse et d’écriture, ainsi qu’une médaille d’or de composition, un DEA en esthétique et sciences de l’art ; il prépare aujourd’hui une thèse à Nice sous la direction du compositeur et philosophe Antoine Bonnet, tout en suivant un cursus de composition au Conservatoire National Supérieur de Paris dans les classes de Michèle Reverdy, Emmanuel Nunes et Michael Levinas.
Prologue de Gérard Grisey ouvre le cycle des Espaces acoustiques (1976). Le compositeur a cherché à jouer sur la perception de l’auditeur avec une mélodie réduite à son ombre, pour ainsi dire, puis à ses ombres, déclinées jusqu’à inventer une sorte de tournis. Nous en goûtons une interprétation aérée non dépourvue d’une certaine gravité, âpre et magistrale comme un cérémonial sans séduction, d’où la frivolité est chassée. Elle est suivie de Chant, brève pièce écrite par Jonathan Harvey en 1992, s’ouvrant sur l’exposition d’une large phrase lyrique qui fait place à une esquisse de pas de danse. Nuancé et précis, le jeu de l’artiste invite à l’audition de sa création de Jubilus (pour alto et ensemble)du compositeur britanniqueà la maison de Radio France, le 7 novembre.
Enfin, cette heure de musique se referme avec Improvisation II – Portrait d’Emmanuel Nunes donnée en première française. Christophe Desjardins y déploie un talent foisonnant, utilisant un second alto différemment accordé ; il jongle avec des harmoniques d’une délicatesse inouïe, articulant (également par cœur) plus de vingt minutes d’une partition tourmentée, « râpeuse » dira-t-on, en tout cas très tendue. À ceux qui pourraient croire qu’un récital d’alto contemporain pût être austère, celui-ci aura prouvé le contraire... même un dimanche matin à onze heures.
BB