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Chroniques
l'après-midi du Quatuor de Tokyo
À travers des interprétations d'une rare clarté, toujours fort scrupuleuses avec le texte, tant au concert qu'au disque (on citera, parmi tant d'autres, un exceptionnel enregistrement des quatuors de Béla Bartók), le Quatuor de Tokyo s'est rendu célèbre. Les après-midis musicaux du Théâtre de la Ville se révèlent passionnants, puisque la formation japonaise succède cette saison à Bashmet, Kocsis, Biondi [lire notre chronique du 15 mars 2003], etc. Aujourd'hui, elle s’attelle à Schubert, Debussy et Brahms, un programme qui montre divers aspects de sa grande palette interprétative.
Le Quatuor en mi bémol majeur D87 de Franz Schubert est écrit par un adolescent de seize ans admiratif de Mozart. Il ne sera édité qu'après la mort du compositeur. Sa structure ne se démarque pas des canons du classicisme. Elle utilise un matériau emprunté à Die Zauberflöte. La présente lecture explore dès les premières mesures un son d'une douce tendresse. Elle garde une retenue de bon ton, celui d’une discrète confidence joyeuse. On apprécie la juvénile vivacité du Scherzo. En revanche, le Trio connaît de légers soucis de justesse à l'alto et au violoncelle. La mélancolie affirmée de l'Adagio annonce déjà le Schubert des dernières sonates pour piano – c'est un peu de ce sentiment-là qui déjà existait dans la Fantaisie en ré mineur KV397 de l'inconvenant salzbourgeois.
Faisant un bond dans le temps, nous entendons ensuite le Quatuor en sol mineur Op.10 de Claude Debussy. Disons-le d'emblée : voici la clé de voûte du concert, avec une interprétation diablement respectueuse où chaque note observe exactement sa durée écrite, ni plus ni moins, sans sécheresse toutefois, dans un fin dosage expressif. Fidélité absolue et sonorité soignée sont les garants d'une exécution de référence. Le Quatuor de Tokyo, et les grands coloristes qui le composent, rappellent ainsi que cette page fut commencée pendant les dernières corrections du Prélude à l'après-midi d'un faune dont on retrouve le climat énigmatique dans le deuxième mouvement, et achevée parallèlement à la mise en chantier d'une vaste partition, Pelléas et Mélisande, au quatrième acte de laquelle le lyrisme tendu du Très mouvementé, avec passion renvoie aisément. Debussy a ménagé la part belle à l'alto qui semble bien correspondre à la discrétion sauvage de son caractère ; il est incontestablement la star de l'Opus 10. Aussi, Kazuhide Isomura présente-t-il un Andantino d'une désertique pureté, assez proche de pages plus tardives de Chostakovitch, qui sait émouvoir.
Le Quatuor en la mineur Op.51 n°2 de Johannes Brahms souffre de trop sérieux problèmes de justesse pour qu'on ne songe pas, après deux interprétations si exemplaires, à un avatar d'instrument. Par ailleurs, les contrastes de dynamique et la vertigineuse envolée des tempi emportent l’adhésion.Pour prendre congé, le Quatuor de Tokyo offre en bis l'Adagio du Quatuor en fa mineur Op.20 n°5 de Joseph Haydn, pris dans un esprit tout de grâce qui boucle tout naturellement la boucle engagée par la partition de Schubert.
BB