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Chroniques
Laura Aikin et Dominique My
Pierre Boulez | Pli selon Pli
Il y a deux ans, un nouveau rendez-vous musical voyait le jour : la Biennale Pierre Boulez, sous la direction artistique de Daniel Kawka. Cette manifestation propose six jours de concerts, mais aussi d’ateliers, de master classes, de rencontres et de conférences, à Saint-Étienne et dans les communes alentours. La Loire et la région Rhône-Alpes – saluons l’audace d’oser un festival sur un créateur non seulement vivant mais en intense activité – rend hommage au compositeur et chef d’orchestre par ce tout premier festival à lui être dédié, de même qu’elle inaugurait, en 1999, le Centre Culturel Pierre Boulez à Montbrison, sa ville natale.
Si, à l’automne 2002, la première édition s’ouvrait avec la création européenne de la version pour flûte et électronique du Dialogue de l’ombre double (initialement pour clarinette, 1985), c’est avec une soirée sous-titrée Jeunesse que celle-ci fut lancée hier, à la Collégiale de Montbrison, la Maîtrise de la Loire interprétant des œuvres de Philippe Leroux, Thierry Pécou et Zoltán Kodály, tandis que Valérie Perrotin et Cyril Goujon donnaient la Sonatine pour flûte et piano que Boulez composait à vingt ans.
Chacun des cinq concerts du soir porte un sous-titre.
Boulez et ses contemporains dimanche, D’hier à demain samedi, Filiations demain, et Grande forme et poésie aujourd’hui. Ces explorations s’inscrivent dans un programme plus vaste, Héritage et transmission, comme le présente Daniel Kawka lui-même : « Héritage et transmissionpose la question de la modernité. En proposant cette dynamique, nous espérons réchauffer le public. Présenter la musique de Boulez comme ni plus ni moins compliquée que celle de Bartók ou de Beethoven, voilà l’idée. Il s’agit de donner quelques clés, comme on pourrait en donner pour l’écoute de l’Offrande Musicale de Bach. Ces musiques ne sont pas plus simples, plus accessibles, même si l’on se croit apte à les comprendre de façon innée, par l’illusoire mesure du temps qui n’est qu’un malentendu. J’entends dire également qu’une nouvelle génération de chefs est arrivée pour diriger la musique de Boulez, alors qu’il est resté longtemps le seul à pouvoir le faire. Aujourd’hui, il y a une relève que je souhaite affirmer. Quelques années auparavant, lorsqu’on ouvrait la partition du Marteau sans maître, on renonçait d’effroi devant la difficulté apparente ; pourtant, cette complexité est à ce point absorbante qu’à présent ses mécaniques sont enfin assimilées : l’héritage et la transmissionsont passés ».
La formule de ce concert – une œuvre chambriste, suivie d’une œuvre pour orchestre, cassant le rituel d’une seule unité instrumentale et l’artificielle dramaturgie traditionnelle, au profit de la cohérence du programme joué – rappelle la voie ouverte par Boulez lui-même lorsqu’il dirigeait le New York Philharmonic. Jean-Luc Rimey Meille et Claudio Bettinelli à la percussion jouent la Sonate pour deux pianos et percussions de Bartók, avec le concours des pianistes Cyril Goujon et Vincent Larderet. Dès l’abord, on constate que l’acoustique relativement sèche de la salle sert plutôt bien la partition. Les pianos sonnent court, favorisant une perception intelligible. En revanche, les contrastes y perdent beaucoup. Les interprètes mettent l’accent sur la clarté, dans une expressivité contenue, parfois même timorée. Si l’exécution du Lento ma non troppo est irréprochable, elle ménage peu de mystère. De même aimerait-on un Allegro final plus sculpté et énergique. Une grande qualité d’écoute entre musiciens génère une construction équilibrée, un travail indéniablement soigné quoi que tièdement précautionneux.
La seconde partie est consacrée à Pli selon pli, par le Festival Philharmonic que nous entendions dans la même œuvre dimanche dernier, à Nice [lire notre chronique du 7 novembre 2004]. Entendre Pli selon pli à quatre jours d’intervalle, par des chanteuses et des chefs différents, est une expérience extrêmement rare. Nous posions dernièrement la question de l’intelligibilité souhaitée ou non du texte : nous sommes désormais convaincus de l’importance de la diction. Laura Aikin fait parfaitement sonner la prose de Mallarmé, y compris dans les mélismes les plus étirés d’Improvisation I. En revanche, si le timbre est incontestablement attachant, des problèmes de soutien et de souffle gêne parfois la phrase, principalement lorsqu’elle est lente, avec des notes tenues. Cela dit, dès que le soprano libère l’extrême aigu, son organe ne souffre d’aucun désagrément, comme si la voix avait besoin de s’ouvrir dans cet éclat pour retrouver sa souplesse par la suite (mais peut-être le stress généré par une focalisation sur la note difficile disparaît-il dès qu’elle est réalisée, simplement). À la décharge de l’interprète, précisons qu’un heureux évènement se prépare qui, sans doute, absorbe sa part d’énergie.
Dominique My dirige une lecture précise dont la tension capte le public. Dosant parfaitement la nuance, affirmant la finesse des textures, la cheffe impose une interprétation continuellement attentive et réactive à l’acoustique du lieu – c’est évident sur l’enchaînement des accords de la fin de Tombeau. À l’orchestre, on retrouve les mêmes soucis de justesse aux violoncelles qui, portant moins dans cette salle, laisse mieux goûter la qualité des vents, en particulier des flûtes. Le plus gênant reste le piano : dès la fin du premier mouvement de la Sonate de Bartók, le piano II était désaccordé… c’est celui-ci que l’on a malencontreusement intégré à l’orchestre de Pli selon pli.
BB