Chroniques

par jérémie spirglas

leçon 1, un programme intelligent et alléchant

Musicales de Colmar / Théâtre Municipal
- 14 mai 2010

Vienne !
Inutile d'en dire plus, le musicien, le mélomane, est déjà parti. Il rêve. Vienne ! Il rêve à cette ville hallucinante, capitale de la vie musicale pendant au moins deux siècles et inénarrable plaque tournante de la culture européenne. Il rêve à Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Wolf… Il rêve à Première et à la Deuxième école

Contrairement aux éditions précédentes, consacrée les unes à l'exploration monographique intensive (Schubert en 2004, Beethoven en 2005), les autres à une tentative de cerner un esprit musical élusif, dont tout le monde parle mais que personne ne parvient à définir (l'âme slave en 2008), à une constellation de musiciens ou à l'articulation d'une frontière dans l'écriture musicale (le Rhin en 2009), cette édition 2010 des Musicales de Colmar s'organise autour du thème viennois, à la fois si varié, si précis et si polymorphe qu'on pourrait craindre que sa programmation ne s'éparpille un peu – ou qu'on en oublie les petits bijoux et raretés qu'elle nous réserve habituellement.

Son directeur artistique, Marc Coppey, compose avec ces obstacles et nous concocte un week-end de l'Ascension aussi passionnant que goulu. Cette journée de vendredi en est une démonstration brillant : l'excellent violoncelliste est en effet doué de ce si rare talent. Talent qui, dans le cas d'un rhéteur, peut parfois faire d'une conférence sur un thème douteux un exposé riche qui donne l'envie d'aller toujours plus loin – il est bien aidé, d'ailleurs, par Jean-Pierre Derrien qui, fidèle au poste depuis sept ans, présente chaque concert avec son humour et son érudition bien connus.

À 17h30, donc, sont exposés trois aspects distincts de la musique de chambre viennoise qui, malgré la distance temporelle (le programme couvre une période allant de 1783 à 1828), ont entre eux des parentés étroites. Ouvrant le bal, le Duo pour violon et alto en si bémol majeur K424 de Mozart, qui malgré un Sasha Rozhdestvensky en petite forme, est porté avec une maîtrise et un tact admirables par l'altiste russe Maxim Rysanov, présente l'aspect mondain de la Vienne bourgeoise. Auf dem Strom D.943, un lied atypique de Schubert – avec, en sus du piano, un accompagnement de cor –, dans lequel on découvre la jolie voix de Nathalie Gaudefroy, représente ensuite l'avènement de ce genre de chanson si particulier aux cercles intimes viennois. Le Trio l'Archiduc de Beethoven, enfin, vient clore ce triptyque sur une note intérieure et réflexive – même dans la lecture soporifique et sans grande tenue d'Hagai Shaham, Antonio Meneses et Alexander Melnikov.

Le programme du soir est plus alléchant encore, cheminant d'un pas sûr sur la voie du renouvellement expressif au tournant du XXe siècle. N'était la défection du Quatuor Modigliani (pour cause de tendinite de premier violon), le concert qui, de Webern et Berg, retourne aux sources brahmsiennes de la Seconde École de Vienne et de l'expressionnisme musical, vaut cent fois le plus éloquent des discours.

Après un insouciant et coloré Quatuor « Lever de Soleil » de Haydn, par le Quatuor Atrium (qui remplace au pied levé les quartettistes initialement prévus, sans, hélas, reprendre exactement leur programme qui prévoyait le Langsamer Satz de Webern), nous retrouvons Nathalie Gaudefroy dans les Sieben frühe Lieder de Berg. Si sa voix peut manquer occasionnellement de chair et de corps, son chant maîtrisé et sans affèterie, qui recherche l'expression dans la sobriété et les nuances subtiles, suffit à nous enchanter. Il sera, du reste, tout aussi efficace dans le Pâtre sur le Rocher D965 de Schubert où l'on entend avec plaisir Romain Guyot, clarinettiste souple et agile. Puis c'est la pièce de résistance (qui, ironiquement, ne dure que trois minutes) : les Vier Stücke Op.7 de Webern, magistralement défendues par Liana Gourdja au violon et Jeremy Menuhin au piano. Pour conclure, il ne faut rien moins qu'un majestueux, bien qu'un brin paresseux, Sextuor à cordes Op.36 n°2 de Brahms.

JS