Chroniques

par bertrand bolognesi

Le Balcon
opéra de Péter Eötvös

Opéra-Théâtre de Besançon
- 28 janvier 2005
nouvelle mouture du Balcon de Péter Eötvös d'après Jean Genet, à Besançon
© opéra-théâtre de besançon

En juillet 2002, l'Ensemble Intercontemporain occupait la fosse du Théâtre de l'Archevêché d'Aix-en-Provence et créait, sous la battue du compositeur lui-même, Le Balcon, opéra en dix tableaux composé par Péter Eötvös sur un livret de Françoise Morvan et André Markowicz adapté de la pièce éponyme de Jean Genet. Deux ans après la mise en scène de Stanislas Nordey, reprise ici et là dans le courant de la saison dernière [lire notre chronique du 25 janvier 2005], Jean-Marc Forêt signe la sienne à l'Opéra Théâtre de Besançon. Il nous montre un bordel où les salons sont ingénieusement représentés par des grands encadrements kitsch, un plus grand encore, et au devant de la scène, se déplaçant pour désigner les changements de tableaux, comme un curseur. Minimaliste, le dispositif fonctionne efficacement, en accord avec les vêtements désuets des personnages (guêpières, porte-jarretelles, déshabillés, etc.). Car il était important, puisque les clients enfilent les emblèmes de fonctions sociales (juge, évêque…), que les putains soient elles aussi déguisées en putains. En ce sens, les décors et les costumes de Pierre Albert, comme la réalisation de Forêt, servent plus fidèlement l'œuvre que la production vue en Aix, chic et superficielle.

On ne racontera pas Le balcon, on le connaît (joué au théâtre en 1956…).
Ce soir, les personnages sont nettement caractérisés. À commencer par Madame Irma, la patronne, campée par Elena Gabouri qui fait preuve d'une diction irréprochable colorée d'un charmant accent russe qui ne peut qu'avantageusement relever la théâtralité du rôle. Karen Vourc'h est une Chantal tout à fait convaincante, et s'avère la voix la plus projetée des trois chanteuses. Khatouna Gadelia incarne une Carmen plus terne, sans grand charisme, même si son chant demeure irréprochable. La distribution est moins satisfaisante du côté masculin. Hugues Georges est un Chef de la Police falot, jouissant cependant d'une belle santé vocale, le Juge de Guy Flechter reste confidentiel, tandis que Jean-Jacques Cubaynes (L'Évêque) aura beaucoup déçu par une diction approximative et un chant peu audible ; sans parler d'un Arthur d'une grande maladresse à tout point de vue. Heureusement, l'Envoyé de la Cour bénéficie de la voix plus sonore et de la captivante présence d’Alan Curbishley, Marc Mauillon offre un chant délicatement nuancé et un timbre flatteur à Roger, et l'on retrouve l'excellent Armand Arapian, créateur du rôle du Général.

Pour la direction, Péter Eötvös a conseillé son assistant sur la création aixoise ainsi que sur la reprise des Trois sœurs au Châtelet en 2001 : à la tête de l'Orchestre de Besançon Franche-Comté, Stéphane Petitjean fait preuve d'une grande intelligence dramaturgique, soulignant toujours de l'accent idéal ce qui se passe sur le plateau. Il fait entendre ce que l'on pourrait affectueusement appeler les panneaux indicateurs de la partition – références au music-hall, au jazz, à la chanson populaire, au cirque, etc. – sans masquer la riche complexité des alliages sonores qu'elle renferme, dans un précieux équilibre. Le compositeur hongrois est chanceux : alors que bien souvent, un ouvrage créé aujourd'hui reste longtemps dans l'ombre avant que demain lui offre à nouveau de s'exprimer, les siens gagnent les cœurs, puisque Trois sœurs connut très rapidement plusieurs productions que Le Balcon compte ce soir sa deuxième mouture, et qu’Angels in America, monté par Philippe Calvario au Châtelet cet automne, vivra une nouvelle réalisation par Benedikt von Peter à Hambourg ce printemps !

BB