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Chroniques
Le beau Roi Singe
spectacle de l’Opéra Wu
Une fois n’est pas coutume, oublions Turandot [lire notre chronique du 27 septembre 2016] pour approcher l’Empire du Milieu d’une manière authentique. Organisée par le Centre Culturel de Chine, en partenariat avec le Théâtre de la Ville (fermé pour deux années de travaux), voici la septième édition du Festival des opéras traditionnels chinois. Durant une pleine semaine (du lundi 21 au dimanche 27 novembre), des troupes chevronnées portent sept œuvres souvent inédites en France, lesquelles témoignent de sensibilités régionales diverses. En effet, le pays compte plusieurs centaines de formes théâtrales (Hanju, Pingju, Wuju, etc.), qu’on situera largement à l’Est, en ce qui nous occupe (Beijing, Wuhan, Yangzhou, Yiwu). Ici alternent pièces civiles, qui privilégient le chant, l’intrigue et les sentiments (Le haut fonctionnaire entremetteur, La bourse brodée d’une licorne), et celles dites martiales où les amateurs de combats seront ravis (Lü Bu et Diao Chan, La forêt aux sangliers). C’est à cette catégorie qu’appartient Le beau Roi Singe.
De son vrai non Sun Wukong, le rôle-titre de l’opéra est d’abord un héros de La pérégrination vers l’Ouest, lequel compte parmi les quatre grands romans de la littérature classique, écrits entre le XIVe et le XVIe siècle. Dans ce livre anonyme aujourd’hui rattaché à Wu Cheng'en (1500-1582), on suit le voyage du moine Sanzang qui part en Inde rechercher les écritures sacrées bouddhiques. Son garde du corps Sun Wukong l’accompagne, ainsi que Zhu Bajie, aimable goinfre à tête de cochon, et le discret Sha Wujing, ancien officier du Ciel devenu Ogre par châtiment, puis Moine des Sables en cours de rédemption.
Venu de la province de Zhejiang avec ses riches costumes, l’Opéra Wu présente trois épisodes du voyage mouvementé. Tout d’abord, la troupe aux gestes stylisés tombe dans un piège tendu par l’Enfant rouge (Luo Liqiang), fils du Démon-Buffle, ce qui est prétexte à chorégraphier les premiers affrontements et acrobaties virtuoses, de connivence avec le public. Puis, l’emprunt de son attribut magique à la Princesse à l’éventail de fer (He Jing), mère de l’Enfant rouge malmené plus tôt, est l’occasion pour Sun Wukong de déployer sa ruse. Plus qu’ailleurs, l’acteur Cheng Tianming fait ressortir l’animalité du personnage grimé comme il se doit (tête dans les épaules, clignements de paupières, feulement lors d’une morsure, etc.). Enfin, notre héros affronte le macaque Liu Er (Wang Xinliang) qui a pris son apparence et ruiné sa réputation. Même les dieux n’arrivent pas à les distinguer, si bien que s’engage un combat à mort. Plus que les rixes, c’est une jonglerie experte qui impressionne (bâton, épée, maillet, etc.), saluée d’applaudissements nourris.
Comme l’explique le sinologue Roger Darrobers, « les opéras traditionnels [dont l’origine remonte au XIIe siècle] puisent dans un vaste réservoir d’airs chantés sur des rythmes et des modes variés qui ne nécessitent donc pas de composer une partition originale ». Six musiciens sont assis en haut de scène, côté cour, à la limite du tapis qui permet d’amortir roulades et saltos – les soldats ont du mal à surgir en trottinant, comme les servantes... Nous trompons-nous en reconnaissant un pipa (luth traditionnel) et deux suonas (bois à anche double, proche de notre bombarde) alternant avec des instruments à deux cordes (genre èrhú ou húqín) ? L’autre moitié de la formation est en charge des percussions, surtout quand domine l’action ou ce qui s’apparente au récitatif. On y repère vite le bruit sec et boisé du bangu, omniprésent, dans un rôle de chef d’orchestre.
LB