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Chroniques
Le bourgeois gentilhomme
comédie-ballet de Molière – musique de Jean-Baptiste Lully
En matière d’estime de soi, Jourdain ne connaît pas de limites ! Le célèbre personnage de Molière apparaît tout de suite fort sympathique sous les traits roublards de Jérôme Deschamps, qui signe également la mise en scène de ce Bourgeois gentilhomme. S’il se sent d’abord un moins que rien, c’est pour mieux s’affirmer par la suite, à mesure que les diverses prétentions humaines sont épinglées au fil de la comédie-ballet des deux Jean-Baptiste, Poquelin et Lully – elle serait l’ultime, car exposée au Roi Soleil peu avant leur brouille définitive (en 1670).
Ainsi, peut-être, un climat de querelle s’instaure-t-il en premier lieu, dès l’Ouverture bagarreuse, mais aussi sensible et dansante, lancée par le bouillant Théotime Langlois de Swarte [lire notre chronique du 5 juillet 2022] à la tête des Musiciens du Louvre. Autour du héros gravitent artistes et domestiques, tous intéressés par aussi lucratif jeu de dupe. Tout semble fait pour l’épanouissement des comédiens, remarquables sans exception. L’intégralité de la distribution serait à citer – par exemple, pour ses piquantes exclamations, le fantasque Guillaume Laloux (Maître à danser, puis Dorante, le jeune amant). Aussi guindés que fantaisistes, les costumes et perruques, signés Vanessa Sannino [lire nos chroniques de Mârouf, Chérubin, Macbet, Le domino noir et L’ange de feu] et Cécile Kretschmar [lire nos chroniques d’Erismena, King Arthur et Œdipe], marquent le plus les esprits en apportant, avec grande justesse, d’audacieuses touches de folie dans les couleurs et dans les formes.
Au risque de cabotiner s’enchaînent plaisamment les parodies osées, les pitreries et les chamailleries à la limite du vulgaire, usant d’accessoires divers, au comique éprouvé. Sans tomber dans le spectacle poussif, la turquerie finale révèle, dans un décor finement animé, l’humour potache qui fait le vrai succès de boulevard. Et la musique dans tout ça ? Peu, si peu – quand elle n’est pas moquée ouvertement – que la frustration arrive tôt et s’installe dans la longue attente, avec l’orchestre en fosse pour de rares et brèves interventions.
Tout juste introduite par la singulière et saisissante haute-contre Nile Senatore, la partition met vite à l’épreuve du ridicule – chanter en plumant un poulet ou en faisant sauter des crêpes ! – le châtelain soprano de Sandrine Buendia [lire nos chroniques de Bohème, notre jeunesse et de La dame blanche], ainsi que l’agréable basse Jérôme Varnier et le ténor Lisandro Nesis. Leurs voix restent ensuite éteintes pour toujours ou presque, à part quelques petites chansons à boire et le finale en liesse, donné sans conviction. De même, les airs de danse, rythmés et inspirés en général, donnent-ils lieu à de trop courtes chorégraphies, même lors du ballet final où les chanteurs se révèlent enfin lyriques. L’embryon de l’opéra français est légèrement présent mais à peine dans cette drôle d’histoire, tantôt bavarde et braillarde.
FC