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Chroniques
Le Carnaval baroque
spectacle du Poème Harmonique
Après avoir redonné Cadmus et Hermione, joyau baroque inoubliable désormais inscrit à son répertoire et dont il est le coproducteur, l’Opéra Comique offre juste avant Noël une autre étoile dans le firmament des productions du Poème Harmonique : le Carnaval baroque. Vincent Dumestre est-il, comme l’écrivait Jean-Louis Barrault parlant de Charles Dullin, « ce sorcier qui fait résonner en nous le mystère de ces mots magiques : Commedia dell’Arte (avec deux m), Improvisation, Zani, …. » ? Au sortir de ce spectacle hors norme, de ce Monde à l’envers qu’il invite à découvrir en compagnie de Cécile Roussat pour la mise en scène et la chorégraphie, nous sommes en droit de le penser, tant notre cœur fut ensorcelé.
Réunissant musiciens et chanteurs du Poème Harmonique et quelques artistes forains, il fait revivre la folie du Carnaval de Rome au XVIIe siècle. Dans des ruelles étroites et sombres et sur des places ouvertes où se croise une foule nombreuse, tout devient permis sous les masques. Faste et débauche battent le pavé dans un joyeux charivari qui, parfois, tourne au drame. La vie n’est qu’illusion où princes et laquais, bourgeois et Arlequins partagent tout, le temps de cette courte période réservée aux plaisirs interdits ou inavouables en temps ordinaires.
Théâtre dans le théâtre, jeu de miroirs entre musiciens et artistes du cirque, qui donc est le maître des illusions ? Les deux Arlequins qui ne cessent de rire et de duper tous les autres personnages, y compris les musiciens (à moins que ce ne soit le contraire) ? Peut-être cette musique si envoûtante, comme la tarentelle que chante Serge Goubioud, extrait de la Fieradi Farfa, qui peut ressusciter un funambule tombé d’une corde (mais est–il vraiment mort) ? Des arie de cet intermède que Vincent Dumestre fit redécouvrir par son dernier CD viennent compléter un programme construit initialement autour des musiques d’Il Fasolo, autre album phare du Poème Harmonique, dédié aux musiques populaires de l’Italie du Seicento, mystérieuse, artistiquement foisonnante et si dure socialement.
Ainsi la musique des palais, celle de Monteverdi ou de Kaspsberger, s’entremêle-t-elle à celle de musiciens anonymes qui égayaient la vie quotidienne des rues. Arlequins et seigneurs sont des marionnettes qui s’animent, des convives affamés, des acteurs sur un tréteau ou des spectateurs avides de farce ou de romances interprétées par un chanteur de charme. La séduction vocale d’Hugues Primard et de Serge Goubioud nous transporte sur des airs aux paroles trompeuses. Les acrobates, jongleurs et mimes révèlent une éblouissante virtuosité. Ils jouent à se (à nous) faire peur avec le plaisir survolté qui caractérise la Commedia dell’arte. Rien ne leur semble impossible et, avec une délicatesse et une intelligence à fleur de peau, la mise en scène onirique leur offre toute la fluidité, la liberté que célèbre et revendique ce théâtre.
Tout est faux et pourtant tout est vrai et, plus que tout, l’émotion. Nous sommes frères et sœurs de ces acteurs, de ces personnages. Le pastiche du Lamento de la Ninfa, qui devient ici le Lamento del Naso, touche et fait rire, chanté par un contre-ténor de grand talent, Bruno Le Levreur, qui s’amuse avec art de ces doubles faces irrésistiblement baroques. Avec une émotivité dont le charme frise la duperie, il interprète d’ailleurs la seule femme de l’histoire.
Comme au Guignol, sachant rire ou applaudir aux instants où tout peut basculer, les enfants présents dans la salle autorisent les adultes à se délivrer de l’emprise du temps qui les presse et de la modernité qui les aveugle. Ainsi, tel un magicien, Vincent Dumestre fait résonner la magie d’un spectacle total où chacun peut redevenir poète, Arlequin, Zani ou Pantalone, osant le burlesque pour mieux s’abandonner à la mélancolie, toujours avec plaisir.
MP