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Le chalet, opéra-comique d’Adolphe Adam (version concert)
Jodie Devos, Ugo Rabec, Sébastien Droy, Guillaume Tourniaire
Avant de le déguster, laissons au fruit cueilli le temps d'oublier l'arbre. Dans une soirée d'ouverture de saison toute spéciale, l'Opéra de Toulon sert, une semaine après son enregistrement historique (première intégrale) avec orchestre et chœurs maison, au Palais des congrès Neptune, le joyeux opéra-comique en un acte Le chalet, composé par Adolphe Adam (illustre en son temps) et créé à Paris en 1834. Donner avec cette version de concert un délicieux avant-goût du disque à dévorer au début de l'an prochain, excellente idée ! Offrir ainsi aux chanceux Toulonnais un vrai feu de joie, merveilleuse surprise !
Dès l'Ouverture chatouillant celle du Guillaume Tell de Rossini, l'Orchestre Symphonique de l'Opéra de Toulon est à l'aise. Il entre aussitôt dans le vif du sujet alpestre, avec un léger accent militaire en passant, puis l'entrée des villageois, à l'unisson, calme et belle (Déjà dans la plaine...), dans un sentiment d'immortalité. En effet l'intrigue se situe en Suisse, à l'époque des guerres napoléoniennes. Il y est question de deux fiancés et d'un soldat qui revient, un peu comme dans Le farfadet (1852), monté avec bonheur à Paris au printemps dernier [lire notre chronique du 13 avril 2016].
Premier authentique plaisir d'opéra, la musique trace joliment les pas et les commentaires de ce Chœur de l'Opéra de Toulon déjà taquin avec le premier chanteur soliste en piste, Sébastien Droy (Daniel), entré en départ canon, dans un bel air exalté et ardu, car accélérateur, pour accomplir dans l'ensemble une remarquable interprétation de ténor nigaud (ou amoureux gauche, jeune homme froussard, etc.).
Outre l'orchestration ludique, le rythme comique à chutes multiples impressionne et fait bondir le jeune chef Guillaume Tourniaire, exemplaire de générosité [lire notre chronique du 20 juin 2006 et notre critique du CD]. Dans un parlé très moderne, à la suite de Daniel, se présente son amour rebelle, Bettly. Son premier air exprime le simple goût de la liberté. D'une voix amusée, bien tenue, claire et juste, Jodie Devos offre un soprano de rêve, aux vocalises réussies. Plus tard, dans les pages les plus romantiques, la jeune cantatrice fait mieux que le miel d'Adam et atteint une douceur proprement ravissante. Quel plaisir de la voir prendre du galon, suivre son étoile et s'affirmer en comédienne !
Superbe prouesse comique et lyrique, également, pour l'étonnant Ugo Rabec (Max, le bon frère de Bettly, malin entremetteur). La voix beurrée, succulente pour le fameux hymne Vallons de l'Helvétie, puis le ton drôle et véloce comme la musique s'enhardit pour réquisitionner la maison et commander les troupes fêtardes, ce baryton original rivalise d'audace dans le refrain du bivouac, prolongé en duo supersonique avec Jodie Devos et tonifié, corsé avec quel punch par l'orchestre… Un formidable petit bout de sparadrap chantant semble circuler entre tous sur la scène.
As de l'opéra-comique, Adolphe Adam ose, lors des scènes les plus faibles (à la tension artificielle, entre deux personnages alors particulièrement lâches), confier à la musique un fabuleux pouvoir d'expression des sentiments. Pour dégager, en deux duos bien différenciés, une si grande force lyrique, pour exprimer la nette ambivalence des cœurs, le compositeur ne craint pas que les violons tergiversent tels les jouvenceaux en leur for intérieur, par exemple, ou que tout l'orchestre paraisse s'éteindre afin de ménager d'improbables mais cruciaux épanchements. L'œuvre a donc bien du charme et, pour son joli coup de théâtre, sa liesse finale et tout son agréable entrain, il serait vraiment d'intérêt public de monter Le chalet au plus vite.
En guise de tour de chauffe curieux et bienvenu, la première partie de soirée rappelle, en trois airs avec Ouverture, que Lakmé (Delibes) se porte comme un charme dans une salle de son époque (fin XIXe siècle). Jodie Devos élève avec grâce l'air Lorsque vous n'aurez rien à faire, extrait du Chérubin de Massenet [lire notre chronique du 9 octobre 2015]. Spectrale Leila, le soprano belge rejoint le chant saisissant de Nadir (Sébastien Droy) pour le duo Ton cœur n'a pas compris le mien des Les pêcheurs de perles (Bizet). Mais le public n'est complètement emballé qu'avec un trio décapant tiré de l'opéra-comique Le toréador de ce bougre d'Adam (1849), qui détourne la mélodie Ah vous dirai-je maman à loisir jusqu'à lever, sur le fredonnement génial d'Ugo Rabec, un petit mistral de folie !
FC