Chroniques

par françois cavaillès

Le comte Ory
opéra de Gioachino Rossini

Opéra de Rennes
- 5 janvier 2019
L'Opéra de Rennes présente "Le comte Ory", farce de Gioachino Rossini (1828)
© laurent guizard

Pour sa musique parlante, si aimable, dès le prélude à la fois espiègle et fracassant, c'est un plaisir de retrouver Rossini, le gourmand, et cette ironie taquine et délicieuse qui joue à plein régime dans Le comte Ory, son pénultième ouvrage pour la scène, créé en langue française à Paris en 1828, juste avant la retraite lyrique fâcheusement anticipée qui suivit Guillaume Tell (1829). Cette farce poussive a pour seul défaut de reposer sur un livret sans poésie, désavoué par le grand Eugène Scribe – co-auteur avec Charles-Gaspard Delestre-Poirson, il refuse de voir son nom sur l'affiche de la première. Dans l'éblouissante rotonde rennaise jubile la baguette du chef estonien Erki Pehk, à la tête de l'Orchestre Symphonique de Bretagne pour faire pousser une pépinière d'ensembles (en particulier de cabalettes) à couper le souffle !

Le plateau vocal, jeune et habile comédien, a bien des qualités : agilité, vigueur et netteté tout d'abord, à commencer par – honneur au rôle-titre – le ténor Mathias Vidal [lire nos chroniques des 6 mai et 27 juillet 2018, du 27 mai 2017, du 26 juillet 2016 et du 28 mars 2009]. Rutilante comme le blouson en skaï sur la soutane du chanteur, sa cavatine Que les destins prospères est le clair signal d'une plaisante interprétation, facétieuse comme le rôle le demande, et jusqu'à l'excès dans la scène finale de ménage à trois – crûment offerte, sans grande imagination de mise en scène. Sous l'étoffe du héros, même plein de rouerie, Ory à lui seul domine chacun des deux actes à force de gesticulations, de lourdes manœuvres, mais aussi de galanterie raffinée.

Les autres personnages semblent en retrait ou à la traîne. Ainsi la concierge Ragonde dans laquelle Anna Steiger plaît par le naturel des intonations bien davantage que par un chant étrangement en perdition, ce soir [lire nos chroniques du 26 septembre 2018 et du 23 juin 2009]. Aussi le baryton Philippe Estèphe brille-t-il par intermittence en l'ami Raimbaud, mais de manière remarquable à son entrée comme dans le grand air [lire nos chroniques du 20 mars 2018, des 12 février et 11 mai 2017]. Plus à la fête, la partie de basse proprement dite, dévolue au précepteur du comte, nous vaut une admirable performance de Jean-Vincent Blot dont la voix charnue et volubile porte et glisse joliment dans le rondeau Veiller sans cesse. La cabalette suivante, Cette aventure fort singulière, achève de convaincre des talents de cette étoile montante – d'origine arménienne mais bel et bien née à Rennes [lire notre chronique du 21 avril 2007]. Même diminué par une pharyngite, le soprano Perrine Madoeuf assure une comtesse Adèle claire et précise. Le bel impact de sa personnalité ressort en petite fanfare dans ses franches actions de grâce plutôt qu'aux mélodies douceâtres et un peu empruntées. Mais attention à la réussite, sur toute la ligne, de Rachel Kelly, aussi excellente vocalement que scéniquement, qui incarne ce brave amoureux d'Isolier, page du comte. Tout semble vibrer en musique chez ce mezzo irlandais, bienvenu sur nos rivages [lire notre chronique du 30 avril 2017].

À la mise en scène (production du Théâtre de Bienne Soleure), l'homme-orchestre Pierre-Emmanuel Rousseau sait créer l'ambiance lyrique et sensuelle de ce curieux opéra-bouffe français en osant transposer le huis clos de la Picardie du XIIIe siècle à un palace vieille France de 1960, d'une invention ravissante [lire nos chroniques du 22 septembre 2018 et du 17 mars 2010]. Alliant fantaisie, classe et élégance, ses costumes semblent également le point fort du créateur, avec un soin plus grand que la gestuelle, presque grossière, des nombreux acteurs de cette histoire passablement incompréhensible, au premier abord. Dans l'ensemble, le défi est relevé de faire vivre la roublardise rossinienne sans l'aide des spécialistes de ce répertoire (italiens, pour la grande majorité). En particulier, le chœur de chambre Mélisme(s), dirigé par Gildas Pungier, parvient très bien à l'amusement et au succès lyrique. En cela, le spectacle est alors plus enviable que le meilleur Offenbach dont l'art et la fortune parisienne doivent sans doute beaucoup au cygne de Pesaro.

FC