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Chroniques
Le comte Ory
opéra de Gioachino Rossini
Après Pier Luigi Pizzi en 1984 (reprise en 1986) et Lluís Pasqual en 2003 (reprise en 2009), c’est à Hugo de Ana que le Rossini Opera Festival a confié la troisième production de son histoire. Le metteur en scène argentin est aussi en charge des costumes et décors, pour lesquels il emprunte généreusement au Jardin des délices de Jérôme Bosch, tableau qui apparaît dès l’Ouverture, tourné de biais. Plus tard, des sculptures viendront s’installer sur le plateau, surtout des œufs géants brisés et des oiseaux en tout genre. Si l’esthétique de la scénographie ravit l’œil [lire nos chroniques de Medea, Don Carlo, Samson et Dalila, Norma et Jérusalem], avec des cloisons mobiles et des chaises d’un bleu pouvant évoquer Yves Klein, le jeu des acteurs tend vers l’agitation permanente.
On ne compte en effet plus les gags et grains de folie qui font certes sourire mais dont la profusion amène rapidement une sensation de saturation. Cela démarre par Ragonde qui casse des œufs pour préparer une omelette, en passant par l’air du Gouverneur où quatre comparses habillés de vert et coiffés de feuilles et de fougères – on en tire plusieurs fois des serpents en caoutchouc – s’agitent tout du long, ou encore par Ory aux traits de Moïse avec ses Tables de la Loi lumineuses dans les bras – le ténor les fait clignoter lorsqu’il tient l’aigu –, jusqu’à la Comtesse en professeur de gymnastique, chaque élève exécutant les mouvements sur un tapis de sol. Mais les dinosaures qui concluent le premier acte, les caddies de supermarché, Ory déguisé en pèlerine qui débarque sur scène en trottinette, et surtout le mouvement permanent des uns et des autres, comme si la mise en scène avait horreur du calme, finissent par fatiguer le spectateur. Il faut reconnaître que le second acte fonctionne tout de même mieux, la longue scène d’Ory et ses amis en fausse pèlerine se prêtant à un joyeux traitement burlesque (ici avec plateaux métalliques utilisés en auréoles, boule à facettes et jupes relevées alla French cancan), tandis que la sensualité du trio final est également bien rendue, malgré l’absence de lit.
Après ses représentations à Pesaro en 2003, on retrouve le ténor vedette Juan Diego Flórez qui compose un savoureux Comte Ory, dans un jeu plus naturel et plus drôle qu’il y a vingt ans. La ligne vocale est toujours aussi élégante, gracieuse même pour les quelques notes émises en voix de tête. Le texte est ciselé et l’aigu transmis avec un beau mordant, même si l’on sent régulièrement un certain effort [lire nos chroniques de La fille du régiment, Guillaume Tell, Ricciardo e Zoraide et d’Il signor Bruschino, ainsi que de son récital ici-même]. Julie Fuchs fait un véritable tabac en Comtesse Adèle, provoquant une ovation à l’issue du grand air En proie à la tristesse. Le timbre possède un charme exquis, l’intonation est d’une précision sans failles et les suraigus filés et autres petites variations dans les reprises ravissent les oreilles, l’actrice n’étant pas en reste dans cette production qui la sollicite beaucoup [lire nos chroniques d’Acis and Galatea, Renaud, Ariadne auf Naxos, Trompe-la-mort, Les Indes galantes et Le nozze di Figaro, ainsi que de son récital au festival d’Aix-en-Provence].
Le baryton Andrzej Filończyk fait entendre en Raimbaud une jolie qualité de chant, ainsi qu’un français correct, mais il manque de volume pour réellement s’imposer. Ces qualités sont supérieures chez la basse Nahuel di Pierro qui fait apprécier en Gouverneur l’excellence de sa prononciation et un instrument sereinement épanoui, du grave profond jusqu’au registre aigu [lire nos chroniques de La bohème, Messe en ut mineur K.427, Così fan tutte et Die Entführung aus dem Serail]. On en vient aussi à regretter que la partie d’Isolier ne soit plus développée, attribuée ce soir à Maria Kataeva, tant somptueux est son timbre riche qu’elle projette avec force, à l’aigu particulièrement triomphant. Monica Bacelli (Dame Ragonde) et Anna-Doris Capitelli (Alice) complètent cette très belle distribution.
Placé au commandes du Coro del Teatro Ventidio Basso très en voix et de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI techniquement bien au point, le chef Diego Matheuz ne bouleverse pas spécialement par sa direction dont la palette de nuances et le relief s’avèrent modestes [lire notre chronique d’Adina]. On remarque rapidement une initiative personnelle consistant à accélérer la conclusion de la plupart des numéros, quitte à prendre plusieurs airs à un tempo relativement lent, comme celui du ténor Que les destins prospères. Ce recours à l’accélération des dernières mesures devient quasiment systématique et détruit rapidement l’effet de surprise qu’il aurait pu créer en l’utilisant avec parcimonie.
IF