Chroniques

par françois cavaillès

Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Viva la mamma !)
Convenances et inconvenances théâtrales (Vive maman !)

dramma giacoso de Gaetano Donizetti
Opéra national de Lyon
- 24 juin 2017
Lorenzo Viotti joue Le convenienze ed inconvenienze teatrali, de Donizetti
© bertrand stofleth

Il ne s'agit ni d'amour, ni de mort dans Viva la mamma ! – dont il ne faut pas oublier le titre véritable : Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Convenances et inconvenances théâtrales) [lire notre critique du DVD]. Voici pourtant une authentique œuvre lyrique de l'immense Gaetano Donizetti (1797-1848). On y est bien à l'opéra, et même en plein dedans, puisque le sujet se concentre sur les répétitions, désastreuses et désopilantes, d'une petite compagnie locale réunie tant bien que mal, et vouée à la déroute, à la Bérézina, dans la bourgade de Lodi, près de Milan.

À l'origine, en 1827, une farce napolitaine riche en parlé dialectal et toute conçue par Donizetti à partir d'une comédie signée Antonio Sigrafi (écrivain padouan, 1759-1818), la pochade est rallongée en 1831 dans le sens courant de l'intermezzo vers l'opera buffa.

Déplié par un prélude ascensionnel – l'orchestre maison, dirigé par le jeune Lorenzo Viotti, sert assez justement de tremplin sinon de faire-valoir aux artistes sur scène, déléguant même parfois leur accompagnement à un piano (bien) joué par le maestro de Lodi, Biscroma –, l'initial tissu de caricatures, de cabotinages et de parodies expéditives, au rythme rapide des altercations entre chanteurs, maestro et poète, s'ordonne ensuite (passé un ensemble bouffe flirtant avec le numéro d'opérette façon Gilbert & Sullivan) une satire dansante, poussive mais aussi pertinente à se moquer de soi...

Dans cet étrange brouillon lyrique aussi clair qu'incisif contre l'hypocrisie du petit milieu de l'opéra, tout repose sur le personnage très cocasse de Mamma Agata, mère de la seconda donna Luigia, extérieure à la troupe mais prête à tout pour valoriser sa cantatrice de fille. Dans ce rôle central, l'emploi d'une basse travestie évoque bien sûr La serva padrona (1733) de Pergolesi d'autant plus quand, en opposition, se dresse un soprano, la prima donna Daria loufoque à l'excès, virtuose et jusqu'au-boutiste dans ce sketch exceptionnel de la confrontation avec la Mamma – performance incomparable, sauf peut-être avec l'épatant Glitter and be gay de Dame Cunégonde dans le Candide (1956) de Bernstein [lire notre chronique du 29 décembre 2016]. Une opposition à la saveur théâtrale encore très prononcée, avec apartés appuyés, pour Daria, et répliques poilantes, pour la Mamma.

Un vrai tabac sur la presqu’île, cette œuvre rare est une bien délicieuse attention de l'Opéra national de Lyon à l'endroit des amateurs d'opéra tout d'abord, en familiers du genre, mais sans oublier de régaler autrui quel qu'il soit, tutti quanti. De retour en scène, elle nous parvient dans une version sans doute encore plus édulcorée qu'à Naples, puis à Milan au XIXe siècle, mais encore très bienvenue en France, dans le goût frappant du Guignol lyonnais.

Belle distribution, tournée en ridicule par un livret vert et gratiné, sous des habits grotesques et charmants de saltimbanques, les chanteurs jubilent, se tirent la bourre et se surpassent dans des rôles ingrats et magnifiques. En premier lieu, méconnaissable en mémère bedonnante à perruque frisée, Laurent Naouri, habitué des grands rôles dramatiques – tel Golaud dans Pelléas et Mélisande dernièrement à Aix [lire notre chronique du 16 juillet 2016] – s'époumone avec lyrisme et déclenche l'hilarité par ses pitreries bigrement audacieuses, secoue le public aux meilleurs moments (quitte à balancer des livrets tels « des tomates pourries » pour Daria) et paraît toujours fort à l'aise, en voix et dans le corps, dans la performance scénique la plus difficile : l'art clownesque. Seul petit regret, ne pas pouvoir écouter comme selon la tradition napolitaine la Mamma interprétée par une basse, mais par un baryton. La plus belle autodérision est exprimée par un autre baryton, l'excellent Charles Rice (Procolo), mari souvent fier et aplati devant sa Daria (« Potpourri di rarita », souligne-t-il) mais aussi parfois irrésistiblement ironique. Encore plus savoureux dans le comique gestuel, discret, passif mais immense de justesse et de dignité pour exprimer le si simple et précieux petit ridicule humain, c'est naturellement le poète-librettiste Cesare : le baryton Enric Martínez-Castignani s'en acquitte si bien que cette taupe binoclarde, souvent littéralement forcée de réécrire pour ne vexer personne, semble détenir malgré tout la meilleure vision des événements.

Toute la galerie des personnages serait à saluer, mais arrêtons-nous seulement sur la basse Pietro di Bianco (Briscomo), superbe cocktail entre folie et musicalité, ainsi que sur les soprani Clara Meloni, Luigia drôle, mais aussi auteure de l'air le plus classieux, et Patrizia Ciofi, Daria sûre de ses moyens de cantatrice et de comédienne reconnue et heureusement encouragée par l'abnégation comique collective incluant le Chœur maison, excellent même en bouffonnerie. Un dernier mot pour le grandiose acrobate dans le chant, à travers la scène et (avec quel humour !) dans son amour-propre qu'est Enea Scala, Guglielmo plus « héroïque » que nature avec un terrible accent allemand, fantastique dans le duo catastrophe piano-voix avec la Mamma.

Retrouvant l’art comique de Donizetti (après avoir propulsé La fille du régiment jusqu'au Met’ de New York), Laurent Pelly signe une mise en scène bien sentie, farceuse et particulièrement réussie quant aux costumes, subtilement railleurs. Le choix de ressusciter le vieux théâtre italien dans un parking moderne clinquant peut troubler. Les avis les plus divers sont possibles, d'autant mieux que pour la dernière du 8 juillet, l’ouvrage sera diffusé en direct, gratuitement et sur écran géant, dans de nombreuses villes de la grande région (tant qu'aucun employé de ce spectacle ne saute à la conclusion de l'opéra et ne décampe en fripouille !).

FC