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Chroniques
Le destin du nouveau siècle
opéra-ballet d’André Campra
Un peu à l'ombre de Lille, le centre de la grande métropole transfrontalière du nord de la France, l'Atelier Lyrique de Tourcoing et son fondateur Jean-Claude Malgoire ont su cultiver leur originalité et faire revivre un parfum d'authenticité bien au delà des bornes du renouveau baroque, en exhumant des partitions ou des versions inédites (à l'exemple du Paradis perdu de Dubois, en début de saison).Le destin du nouveau siècle de Campra signe un retour de l'institution tourquennoise à son répertoire baptismal, faisant au passage un clin d'œil aussi imprévu qu'amusant à un fameux édifice lillois.
Mais c'est d'abord une aventure éditoriale et musicale, qui rappelle combien les bibliothèques recèlent encore de partitions estimables pour affiner l'historiographie autant que renouveler les plaisirs du mélomane, en dehors des sentiers désormais rebattus. Un jour de juillet 2015, un manuscrit daté de 1740 est découvert dans les fonds de la médiathèque Centre-ville de Saint-Denis : il s'agit de la partition d'un opéra-ballet d’André Campra, Le destin du nouveau siècle, jusqu'alors portée disparue. On fait appel à Patrick Bismuth et Hélène Houzel, professeurs au Conservatoire d'Aubervilliers, pour éditer et recréer l'œuvre, avec l'ensemble La Tempesta. Après une première représentation dans la cité francilienne en décembre 2017, au Théâtre de l'Embarcadère, Tourcoing accueille la production, avant que celle-ci ne poursuive sa tournée.
Si l'on situe usuellement Campra entre Lully et Rameau, le présent opus affirme une sensibilité plus proche de l'auteur des Indes galantes, par-delà la forme et la labilité de l'intrigue. En effet, l'intérêt du spectacle ne réside guère dans une dialectique dramaturgique académique : à l'orée d'un nouveau siècle, le dieu du Temps, Saturne, invite les Parques à décider du sort de celui-ci, entre le parti de la Guerre et celui de la Paix. Devant l'indécision des peuples, Pallas, déesse de la Sagesse, prescrit un équilibre entre les deux humeurs politiques pour éviter les excès de chacune, dommageables à la vertu des nations.
La veine mélodique et orchestrale fait le prix d'une partition où l'on goûte des saveurs que le Traité de l'harmonie n'aurait pas reniées, en particulier le balancement tonal des danses ou le traitement privilégié de certains instruments comme le basson, restituées par Patrick Bismuth et ses musiciens avec une belle pondération stylistique, à peine fragilisée par quelques éclats héroïques de trompettes naturelles parfois rétives. L'empreinte du premier musicien officiel de Louis XIV se lit essentiellement dans la vaste Chaconne de la troisième entrée, parente de l'écriture du dernier Lully.
Avec la complicité des lumières de Thomas Chelot et des mouvements chorégraphiques d’Irène Ginger, sur la base de patrons baroques concentrant l'essence de la danse de cour, Jean-Daniel Laval signe une scénographie sobre, délimitée par quelques colonnades pour tout goût antique. Les costumes dessinés par Anne Ruault s'autorisent quelque fantaisie, à l'exemple des cotillons qui déguisent la Paix.
Dominant le plateau vocal, Marc Mauillon cisèle les interventions de Saturne et Mars, bombant le torse du hiératisme avec un sens aigu de la justesse expressive, teintée d'une gourmande pincée d'ironie. L'autre baryton, Thomas Van Essen, affiche un métier solide, davantage que la Paix de Julie Hassler, amoindrie par une passagère méforme hivernale, ou Jean-François Novelli, ténor aux moyens plus calibrés. Claire Lefilliâtre démontre son savoir-faire dans l'apparition de la Sagesse. Quant aux huit voix du chœur, réparties à égalité entre la Paix et la Guerre, elles modèlent des ensembles efficaces, sans négliger la personnalité des individualités.
GC