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Chroniques
Le Docteur Miracle
opéra-comique de Georges Bizet
Pour la deuxième année consécutive, la compagnie Opéra du Jour propose un festival d’opéras en un acte, ou adaptés au besoin, sous la direction artistique d’Isabelle du Boucher. Du 5 mars au 30 avril, pour une représentation en soirée (20h30) et l’autre en matinée (11h30), cinq ouvrages courts vont résonner dans l’ancien salon de musique au style Renaissance flamande de l’ingénieur Louis Mors (pionnier de l’automobile et, surtout, créateur d’une chaire de musicologie au Collège de France) : Le barbier de Séville (Rossini), Bagatelle (Offenbach), La serva padrona (Pergolesi), L’enfant et les sortilèges (Ravel) et le fameux Docteur Miracle qui justifie notre déplacement dans le quartier de Passy, à l’heure où Carmen ibérise Bastille.
Entre l’écriture de sa Symphonie en ut majeur n°1 en 1855 (création posthume en 1935), qui doit beaucoup à Gounod, et celle de Clovis et Clotilde (1857), cantate récompensée par un Grand Prix de Rome lui ouvrant les portes d’une initiation italienne, Georges Bizet (1838-1875) répond à un concours d’opérette organisé en août 1856 par Offenbach. Récent directeur du Théâtre des Bouffes-Parisiens, le futur géniteur du Docteur Ox (1877) [lire notre critique du DVD] souhaite en effet promouvoir le répertoire qu’il défend. Six finalistes vont mettre en musique un livret signé Léon Battu et Ludovic Halévy, lesquels s’inspirent d’une pièce de l’Irlandais Sheridan (Saint Patrick’s Day, 1775). Ex-æquo avec Charles Lecocq (1832-1918) – qui demeurerait dans le genre léger toute sa vie (Fleur-de-thé, Giroflé-Girofla, Rose-Mousse, etc.) –, Bizet remporte le premier prix, donc de l’agent et une dizaine de représentations de son œuvre, à partir du 9 avril 1857.
Au regard de cette histoire convenue d’un galant approchant sa belle sous divers camouflages (Pasquin lourdaud, charlatan Miracle), le biographe Frédéric Robert concluait un sens parodique plus affiné chez Bizet que chez Offenbach : « soit dans les interventions en coulisse d’un « orchestre militaire », composé d’uneclarinette, d’untrombone, d’unegrosse caisse et d’unecymbale, soit dans le quatuor de l’omelette. Page étonnante que cet ensemble qui fait si grand cas… d’un plat amené aux accents solennels d’une « entrée de mariage », alla Cherubini, et devant lequel les hôtes s’attablent, gravement, tandis que de l’orchestre surgissent des traits de violons d’une surprenante agilité rossinienne » (Seghers, 1965).
Point d’orchestre ici, mais pas de piano solitaire non plus : Françoise Tillard joue entourée de Francine Trachier (violon) et Étienne Lamaison (clarinette). Efficace, le trio électrise quatre chanteurs familiers du genre : Clémentine Bourgoin (Laurette), soprano piquant et agile, Marion Gomar (Véronique), mezzo ample et sensuel, Charles Mesrine (Silvio), ténor solide sans être agressif, ainsi qu’un Renaud Boutin au grand souffle (Podestat de Padoue). Fin connaisseur de la tradition comique (commedia dell’arte, foire, guignol, etc.), ce dernier réussit la mise en scène d’un exercice qui « distille jusqu’à l’écœurement le principe de l’opérette : celui d’une mécanique tournant à vide ». L’énergie est tenue d’un bout à l’autre, sans temps mort ni vulgarité. Un grand bravo à tous !
LB