Chroniques

par françois cavaillès

Le farfadet
opéra-comique d’Adolphe Adam

Théâtre Trévise, Paris
- 13 avril 2016
une rareté signé Adolphe Adam : Le farfadet, opéra-comique de 1852
© alexis lardilleux

La compagnie des Frivolités Parisiennes s'est dotée d'un mandat noble et vital en créant, il y a deux ans, une académie pour jeunes acteurs-chanteurs. Cette formation semble conçue pour « jeter à l'eau » les intrépides, bien loin d'être des débutants. Le mot d'ordre en pourrait être d'exister pour la scène, pour la culture vivante populaire et, en particulier, pour l'opéra-bouffe, l'opérette et l'opéra-comique.

Tout à fait à la hauteur de cette double ambition d'élever à la fois les artistes et le public, Le farfadet fait vraiment sensation. Rareté en un acte signée Adolphe Adam, il représente à merveille le ton de son lieu de création (en février 1852), à savoir l'Opéra Comique, en donnant peut-être davantage dans le comique que dans l'opéra... C'est du moins la première impression. En effet, le titre suggère bien une cocasse petite histoire de fantômes : en très petit comité dans un moulin (!), une nuit de noces est bouleversée par l'incroyable retour d'un soldat, amant de la mariée. De quoi faire tourner les tables, les quelques personnages bien typés et tout le reste au vaudeville ? En fait, le revenant, invité inattendu, et surtout l'humour potache d'une troupe admirable font vite basculer les deux couples très bancals dans... la fantaisie, la drôlerie et même, par un petit tour de magie musicale, le fantastique promis par le joli intitulé.

L'Ouverture invite déjà à un voyage aux légers cahots d'une course agréable. Grâce soit rendue aux solistes de l'Orchestre des Frivolités Parisiennes, dirigés par Nicolas Simon, d’assurer si bien le rythme de la comédie en ramenant à la vie une musique délicieuse, concoctée et servie comme il se doit pour attraper un succès public et critique sûrement tenace. Avec relativement peu de moyens, le décor entretient le mystère et la présentation des personnages est réussie, l'introduction des fiancés sous des airs de Bidochon provoquant les premiers éclats de rires. Costumes, gestes, situations et langage sont habilement mis au goût du jour, tout en préservant le savoureux comique conçu par Adam et le librettiste Planard. La soirée est placée sous le signe de la complicité, notamment quand l'orchestre joue les groupes de rock et la salle vire en boîte de nuit.

Dans l'excitation printanière et le plaisir de s'amuser avec un petit trésor de l'opéra-comique français, on frise parfois le café-théâtre, on cabotine presque, surfait les rôles... mais tant mieux, vraiment, dans une entreprise de mise en scène sincère et généreuse, signée Pascal Neyron, soucieuse avant tout de faire raconter aux interprètes une fable.

Certes, les garçons se mettent fort en évidence, plutôt dans le jeu de scène, le ton comique, avec une énergie intense et une bonne diction. Très en phase avec le public, le ténor Jean-Noël Teyssier (Bastien) brûle les planches en jeune premier poltron. Le baryton Vincent Vogt n'est pas en reste, tonique et joueur dans les habits du Bailli (parrain de Bastien), tandis que François Héraud (Marcelin, le faux spectre, intrus de la noce), comédien remarqué dans les théâtres parisiens pour son Schaunard dans La bohème, marque les esprits à son arrivée un peu tardive et étrange, au milieu du public et devant la scène éteinte, avec une chanson pastorale de baryton galant un peu poussiéreuse, mais conclue dans une intéressante sobriété.

Tout aussi gratinés, les rôles féminins font par gentille opposition la part belle aux voix. Au grand bonheur d'écouter le soprano fin et cristallin d'Armelle Marcq (Babet, amante déçue, soudain presque mangeuse d'hommes) !... Moins invitée à chanter seule, mais particulièrement brillante dans les ensembles, le mezzo Aline Quentin réussit en mariée perdue une composition assez extraordinaire, avec beaucoup d'humour. L'abattage des chanteurs et des musiciens est impressionnant dès la mention des farfadets, joyeux motif de déchaînement des forces de la farce et de la rêverie, ainsi dans un ravissant ensemble évoquant Offenbach, puis un superbe petit duo en préfigurant un autre, très célèbre, de Delibes, et enfin dans un quatuor merveilleux annonçant l'apparition du fantôme, et cette fascinante musique subliminale à sa suite, pleinement opératique.

Pour tant rire et s'amuser à ces frasques de jeunesse déjantées, le spectateur comblé saura aussi gré à la technique, par exemple à l’habile jeu de lumières, réglé avec précision, de Pascal Nawojski, aux maquillages et aux coiffures d’Isabelle Garcia – travail peut-être le plus créateur de la soirée –, ainsi qu’à la direction du chant par un éclaireur du lyrisme français, Pierre Girod. Souhaitons à cette réussite collective de vivre longtemps avec la belle saison, de resplendir à Paris pour l'été.

FC