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Chroniques
le forilège händélien d’Emőke Baráth
Philippe Jaroussky dirige Artaserse
En résidence artistique à l’Opéra national de Montpellier, Philippe Jaroussky, passé du côté de la direction orchestrale avec son ensemble Artaserse, propose, le lendemain de master classes publiques, un concert autour des opéras que Händel a écrits pour la Royal Academy of Music de Londres (dont il a pris la direction en 1720), avec un florilège d’airs alors interprétés par les plus belles voix féminines de l’époque – lesquelles assumaient également des rôles travestis. Emőke Baráth prend le relais d’une façon magistrale [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, Elena, Catone in Utica, Orfeo à Nancy puis à Metz, Scylla et Glaucus, Stabat Mater de Pergolesi, Ipermestra, Alcina, Gloria et Stabat Mater de Poulenc, enfin La Dori].
L’Ouverture de Radamisto HWV 12, premier grand succès du Caro Sassone dans la capitale britannique, sert, de manière presque symbolique, de page augurale où s’entend l’efficace alacrité dramatique des pupitres, préambule idéalement calibré à l’air de Sesto, L’aura che spira, à l’Acte II de Giulio Cesare in Egitto HWV 17. La soliste affirme une belle concentration expressive pour une soif de vengeance qui ne manque pas de mordant dans la ligne et dans les attaques, sans sacrifier une sensibilité investie que l’on retrouve dans les demi-teintes plus intimes d’Ombra cara di mia sposa, empreinté au rôle-titre de Radamisto, avec un admirable approfondissement des nuances dans le portrait psychologique.
Ce personnage revient – après le premier des quatre intermèdes instrumentaux de la soirée, le Concerto grosso en ré mineur HWV 316, dévoilant, avec une efficace nervosité, l’essentiel de la maîtrise stylistique requise – avec un autre aria, tiré de l’Acte III, Qual nave smarrita tra’ sirti, dans lequel le soprano hongrois fait valoir une égale délicatesse dans les linéaments élégiaques du sentiment, secondée par la pudeur de l’accompagnement orchestral. Dans Ai greci questa spada sovra i nemici estinti, la vaillance d’Achille, au troisième acte de Deidamia HWV 42, dernier opéra de la carrière londonienne du maître, contraste avec une éloquence qui n’a d’égale que la vitalité d’une ligne vocale où la moindre inflexion ne se contente pas de la facilité virtuose et n’oublie pas d’être signifiante.
La seconde partie du concert s’ouvre sur des pupitres laissés à l’impulsion portée par le duo des deux époux, Bertarido et Rodelinda, Io t’abbraccio, de Rodelinda HWV 19. Philippe Jaroussky et Emőke Baráth témoignent d’une authentique complicité dans l’entrelacs des couleurs et des affects où, à la relative nitescence du contre-ténor français répond la chaleur moirée d’un timbre porté par une évidente sincérité, que l’on plébiscite dans le désespoir d’Alcina, à la fin du deuxième de l’opus homonyme (HWV 34), Ombre pallide, – introduit par la tonalité grave duLargo initial du Concerto grosso en si mineur HWV 330 et le récitatif accompagné de l’air Ah, Ruggiero crudel! qui annonce le frémissement de la déréliction dans lequel plonge la reine de sortilèges sourds à ses appels. La pulsation inquiète se glisse ensuite dans un sfumato enchanteur, où le remarquable instinct musical s’épanouit d’ornementations décuplant l’impact émotionnel.
Après un Vivace plein de saveur alerte, le moelleux du Largo, deuxième mouvement du Concerto grosso en si bémol majeur HWV 313, prépare la parenthèse mélancolique de l’air de Cléopâtre, à l’Acte II de Giulio Cesare, Se pietà di me non senti, giusto ciel, précédé de son bref récit, Che sento? O Dio!. Avec évidence les vertus d’imagination expressive d’Emőke Baráth passent d’Alcina à la souveraine égyptienne et font pressentir une incarnation marquante, sinon majeure, du rôle en juin prochain à Montpellier. Ultime intermède concertant, le Larghetto affetuoso du Concerto grosso en la mineur HWV 322 fait le pont avec les agiles scintillements de Scherza in mar la navicella d’Adelaide, au premier acte de Lotario HWV 26, avant la réconciliation finale de Giulio Cesare, Caro! Bella! Più amabile belta où les deux solistes rivalisent de générosité lumineuse. Les deux bis – Ah spietato d’Amadigi di Gaula HWV 11 et Da tempeste de Giulio Cesare – confirment combien la Hongroise compte désormais parmi les grandes haendéliennes d’aujourd’hui.
GC