Chroniques

par bruno serrou

le Livre mallarméen
Quatuor Parisii

Festival Messiaen au Pays de la Meije / Église de La Grave
- 5 août 2010
Aigle sur le glacier, photo de Bertrand Bolognesi (2005)
© bertrand bolognesi

Église archicomble pour ce concert succédant au colloque Boulez/Messiaen, une filiation fertile qui, autour de Pierre Boulez, réunissait pendant huit heures un public attentif et six musicologues venus des quatre coins du monde. Il s’agissait pourtant de l’un des programmes les plus ésotériques de la décade, avec l’exécution du Livre pour Quatuor à cordes composé par Boulez entre mars 1948 et juillet 1949. Le titre puise chez Stéphane Mallarmé, l’un des poètes favoris du musicien – avec Henri Michaux et René Char –, qui s’en inspirera notamment dans Pli selon Pli.

« ... j’ai toujours rêvé et tenté autre chose, avec une patience d’alchimiste, prêt à y sacrifier toute vanité et toute satisfaction, comme on brûlait jadis son mobilier et les poutres de son toit, pour alimenter le fourneau du Grand Œuvre, écrivait Mallarmé à Verlaine. Quoi ? C’est difficile à dire : un livre, tout bonnement, en maints tomes, un livre qui soit un livre, architectural et prémédité, et non un recueil des inspirations de hasard, fussent-elles merveilleuses… J’irai plus loin, je dirai : le Livre persuadé qu’au fond il n’y en a qu’un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les Génies. L’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poète et le jeu littéraire par excellence : car le rythme même du Livre alors impersonnel et vivant, jusque dans sa pagination, se juxtapose aux équations de ce rêve, ou Ode. »

Le Livre pour quatuor est contemporain de la Deuxième Sonate pour piano à laquelle il emprunte, surtout dans ses formants pairs, une partie de sa série et de ses procédés de développements, d’interpolations, de variation et de prolifération motivique. Il poursuit le mouvement amorcé dans la sonate pour dépasser le strict sérialisme des hauteurs de la Seconde Ecole de Vienne.Mais, contrairement à la sonate, le Livre est resté inachevé, avant d’être supprimé par Boulez de son catalogue et de réapparaître en 2000 à l’occasion de son soixante-quinzième anniversaire.

Les cinq mouvements qui constituent (à ce jour) cette partition capitale à la gestation compliquée sont constitués de développements conçus à partir de diverses séries de structures rythmiques à la complexité variable. Le Livre pour quatuor est comme une synthèse entre les recherches de Messiaen et celles de Webern, du moins dans ses deux premiers formants, pour se tourner ensuite vers l’expressivité de la Suite lyrique de Berg et les élans dramatiques deTristan und Isolde de Wagner. Partition d’une extrême difficulté d’exécution, le Livre pour quatuor est encore une œuvre en devenir (work in progress), demeurant incomplète puisque le mouvement IV, bien qu'entièrement écrit, n'a jamais été publié. Boulez a également élargi pour orchestre à cordes deux des morceaux (parties Ia et Ib) qu’il a réunis en 1968, puis révisés en 1988, sous le titre Livre pour cordes.

Portant cette œuvre depuis 2000 où il la donna à Fontainebleau dans le cadre des Rencontres organisées par Georges Zeisel, et l’ayant enregistrée dans la foulée chez M10, le Quatuor Parisii en donne une vision remarquablement ciselée, fluide et sensible. Une interprétation si exemplaire, d’ailleurs, que le compositeur constate devant qui veut l’entendre des faiblesses, principalement dans la première partie (Ia, Ib, II) qu’il dit devoir absolument retravailler. En regard du Livre pour quatuor, les Parisii proposent en guise de prélude la Pièce pour piano et quatuor à cordes que Messiaen a composée en 1991, avec, au piano, la remarquable Marie Vermeulin, et, entre les formants V et VI du Livre boulézien, de splendides Bagatalles Op.9 (1913) de Webern.

BS