Chroniques

par hervé könig

le London Sinfonietta souffle 50 bougies
œuvres d’Hans Abrahamsen, Harrison Birtwistle,

Samantha Fernando, György Ligeti, Deborah Pritchard, Igor Stravinsky
Royal Festival Hall, Londres
- 24 janvier 2018
la jeune compositrice anglaise Samantha Fernando
© dr

Londres. Queen Elisabeth Hall. Mercredi 24 janvier 1968. Un nouvel ensemble instrumental donne son tout premier concert. Sous la direction de David Atherton, le London Sinfonietta voit le jour en jouant Apollo et Hyazinthus d’Hans Werner Henze (1949), la Symphonie pour seize vents « Fröhliche Werkstatt' / Werkstatt ? » de Richard Strauss (1945) et, en création mondiale, The Whale, cantate dramatique de John Taverner (1966).

Londres. Royal Festival Hall. Mercredi 24 janvier 2018. Le London Sinfonietta, qui depuis sa naissance (à l’initiative du chef britannique cité ci-avant et de Nicholas Snowman), sert magnifiquement la musique de son temps et contribua grandement à diffuser celle de nombreux compositeurs, Harrison Birtwistle en tête [lire notre chronique du 14 novembre 2004], célèbre son cinquantième anniversaire avec trois premières mondiales et une création londonienne, précédées de trois pages du répertoire : l’Octuor de Stravinsky (1923), le Concerto de chambre de Ligeti (1970) et The message de Birtwistle (2008).

Le plaisir est grand de retrouver ce soir, in loco, les excellents musiciens de l’illustre formation anglaise qui, à l’âge de dix ans, servit de modèle à Pierre Boulez dans l’invention de l’Ensemble Intercontemporain – groupe parisien snobissime et facilement amnésique qui nous oubliait en avril dernier lors du grand raout mondain de son quarantenaire, quand son ainé anglais nous fait si bel accueil quelques mois plus tard. Trois chefs se succèderont au pupitre : Vladimir Jurowski, le compositeur George Benjamin et le fondateur, David Atherton.

Ouverture en fanfare, avec The message pour clarinette en mi bémol, trompette en ut et military drum de Birtwistle. À peine le temps d’applaudir et flûte, clarinette, bassons, trompettes et trombones lancent la joyeuse Sinfonia chaloupée de l’Octuor de Stravinsky, qui bénéficie d’une exactitude rigoureuse. On n’a pas tous les jours cinquante ans ! L’interprétation est d’un niveau rarement atteint, c’est sûr. Très beau, aussi, le Tema con variazioni, pris dans un tempo un peu assoupi au début, puis vivement joueur. Sous la direction de David Atherton, le Finale affiche une bonhomie parfaitement délicieuse. Après un bref changement de plateau, qui s’opère très efficacement, nous entendons le Concerto de chambre que György Ligeti conçut en quatre mouvements pour piano, clavecin, vents et cordes (treize musiciens en tout) entre 1969 et 1970. Passée la surprise du très fluide Corrente, Calmo apparaît comme un chant virtuel ponctué d’éclats lumineux. Movimento preciso e mecanico nous emmène dans un formidable tourbillon. La clarté paradoxale de la partie de piano du Presto final s’enchevêtre dans le génial dédale de la conclusion. À soixante-treize ans, Atherton signe une lecture flamboyante de cette grande page du dernier tiers du XXe siècle. Dans une humeur rieuse et détendue, le fondateur de l’ensemble et Harrison Birtwistle racontent l’aventure London Sinfonietta et rendent un hommage complice à Nicholas Snowman.

Après l’entracte commence la partie la plus contemporaine du concert, avec Simon Haram au saxophone pour la création d’une nouvelle page de la compositrice Deborah Pritchard (née en 1977), River Above. Ce solo alangui et lyrique reste en travers de l’oreille, comme un fruit resté trop longtemps en gestation. Les dates nous ont donc trompés : Pritchard écrit une musique de l’entre-deux-guerres, une musique d’avant sa naissance. Vladimir Jurowski gagne maintenant le pupitre pour jouer Formations, commande du London Sinfonietta à la jeune Samantha Fernando (née en 1984) dont l’irisation marque une parenté avec son ainée Kaija Saariaho. Après un prélude proliférant, une section lente, répétée dans un halo new age, fait parler la contrebasse. Un duo flûte et clarinette s’articule alors sur le vrombissement d’un gong. Le motif en est ensuite développé en ritournelle, juste ce qu’il faut – le une fois encore : il est important de savoir s’arrêter.

Le 29 janvier 2016, le pianiste Alexandre Tharaud et le chef Ilan Volkov à la tête du Westdeutscher Rundfunk Sinfonieorchester créaient Left, alone, concerto pour la main gauche d’Hans Abrahamsen (2015). Cette idée d’une main gauche seule n’a rien d’une vue de l’esprit pour le Danois (né en 1952) puisqu’il est né avec une paralysie qui lui permet d’actionner seulement deux doigts de sa main droite, parfois trois. Son goût pour le piano fut marqué par cette limite. Cela dit, Oktober (1969), le premier opus inscrit au catalogue officiel d’Abrahamsen est conçu pour la main gauche. La facture très personnelle de cette œuvre donnée ici par Tamara Stefanovich et dirigée par George Benjamin retient l’attention. Six mouvements brefs se succèdent, alternant des climats rythmiques et méditatifs qui ne flirtent avec aucune esthétique précise tout en côtoyant tour à tour les minimalistes américains, Stravinsky, Ligeti, un free jazz soft et même Satie. La première londonienne de ce soir connait un franc succès, le public faisant franchement fête à l’auteur. Encore! est une suite de quatorze variations sur un Hornpipe d’Henry Purcell plaçant en vedette chaque soliste du London Sinfonietta, pot-pourri tout spécialement composé par pléthore de musiciens, parmi lesquels on retrouve Samantha Fernando [photo], Deborah Pritchard et Harrison Birtwistle. Ce joyeux cadavre exquis est confié à la battue de Vladimir Jurowski.

Happy birthday !

HK