Chroniques

par bertrand bolognesi

Le luthier de Venise
conte musical de Gualtiero Dazzi

Octobre en Normandie / Opéra de Rouen
- 7 octobre 2004
Le luthier de Venise, opéra de Gualtiero Dazzi en création à Rouen
© marie-noelle robert

C’est la première du conte musical Le luthier de Venise qui doit son livret à Claude Clément et sa musique à l’Italien Gualtierro Dazzi. À la lueur d’une lune grise balayée par la brume, Pierrot, égaré après la fête, descend du ciel, atterrit dans une noire flaque d’eau dont s’isole une mendiante perchée sur un illusoire îlot. « Réveille-toi, Pierrot : tu es à Venise ». Le décor est posé… mais ceux qui attendent la carte postale seront déçus ! Comme nous ne l’attendions pas – et qu’à vrai dire, elle eut pu nous déplaire –, les inquiétudes des deux personnages quant à la future coulée de la Sérénissime, les clapotis d’une omniprésente aqua alta pendant toute la représentation, le brouillard, de même qu’un Carnaval relativement déjanté qui exclut son stéréotype, ont vite capturé l’attention.

Après une scène de marché discrètement populacière, on entre dans le vif du sujet, régulièrement accompagné par les commentaires de Pierrot. À Venise, il est une porte de maison s’ouvrant sur un petit jardin orné d’un bel arbre au tronc ridé. Là vit un luthier célèbre et son chat, réputé voleur de saucisses. Si l’arbre offre de longue rêverie au maître, au compagnon griffu il occasionne de passionnante partie de chasse aux oiseaux intrépides, et aussi quelques feulantes bagarres. Arrive un temps où l’arbre est rendu au terme de sa vie. À la belle saison, ses branches ne se couvrent d’aucun feuillage. Triste, le luthier se décide à l’abattre et à soigneusement faire vieillir son bois pour, un beau jour, en faire un instrument. Après le chœur des bûcherons, lorsque de nombreuses saisons ont passées, le luthier reconnaît un bois à point dans ce qu’il reste de son arbre. Il commence à le travailler et réalise un violoncelle à nul autre pareil, le plus beau des violoncelles, dont il cisèle l’âme avec passion.

« Cet instrument est magique et d’une essence inusitée. Il ne peut en sortir de musique que sous les doigts les plus agiles, guidés par un cœur talentueux ». Carnaval survient, et avec lui ses comos fous qui bientôt envahissent le paisible jardin du luthier, s’emparent des violons, archets et outils d’artisans, comme du précieux violoncelle qu’ils confient à un célèbre musicien, masqué pour l’occasion, venu de loin l’essayer. Inutile d’en dire plus : votre imagination complètera l’histoire… à moins que votre curiosité vous emmène au Théâtre du Châtelet qui reprendra l’ouvrage à la mi-octobre.

Installant l’écoute dès l’abord, grâce à un travail d’atmosphère que sert une texture orchestrale d’une fine et sensuelle mobilité, développant trois chœurs « leitmotiviques »où s’articulent trois périodes de sa dramaturgie, jusqu’à mener le public à désirer entendre le violoncelle – dont je ne vous dirai rien ! –, Gualtierro Dazzi signe un ouvrage à la poésie attachante. De même Giorgio Barberio Corsetti réalise-t-il une mise en scène efficace et toujours surprenante, évitant chacun des pièges que semait le sujet. Pas de grande machinerie, d’idée ou de métaphore brillante : la production est faite de détails charmants et de compositions bien construites, comme ce chat exquis, plus vrai que nature, joué et chanté par Christine Buffle que l’on avait beaucoup appréciée dans Niobé il y a quelques mois [lire notre chronique du 15 avril 2003], ou le luthier de Laurent Alvaro, fort attachant, qui offre un timbre d’une grande unité.

On y entend également Catherine Dubosc, Pierrot sympathique bien qu’un peu léger, et le contreténor Daniel Gundlach en mendiante au chant irréprochable quoique desservi par une diction suffisamment imprécise pour brouiller la compréhension du spectateur. À la décharge de ces deux artistes, signalons un chef, Alain Altinoglu, peu soucieux d’équilibrer fosse et scène, de sorte que celle-là couvre trop souvent celle-ci. Par ailleurs, on remarque de nombreux flottements dans l’orchestre, des hésitations notables conduisant à un rendu parfois approximatif.

Personnage primordial, le violoncelliste qui s’essaie à faire sonner « l’instrument magique »n’est autre qu’Anssi Karttunen dont la présence sur une scène nue et sombre est saisissante. Mais surtout, l’idée de faire intervenir une équipe d’acrobates est excellente. Elle amène sa part de merveilleux à l’opéra, le reste sourdant directement de la musique. Chaque apparition de cette équipe est un enchantement, plein d’humour et d’esprit, tout en nuance. Antoine Rigot en a réglé les mouvements avec une inventivité remarquable. Les artistes y sont autant d’elfes et de fées, qu’ils soient bûcherons, noceurs ou poissonniers.

Les fascinants acrobates s’appellent Develyn Bogino, Julien Cassier, Damien Caufepe, Claire Cordelette, Agnès Puig-Fustagueras, Manuelle Haeringer, Matthieu Ribet, Marti Soler-Gimbernat, David Soubies et Diane Vaicle. Enfin, félicitons le Jeune Chœur de Paris (préparé par Laurence Equilbey) qui se prête avec une complicité rafraîchissante aux inventions du metteur en scène, tout en honorant la partition.

BB