Chroniques

par gérard corneloup

Le mage
opéra de Jules Massenet (version de concert)

Biennale Massenet / Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
- 9 novembre 2012
résurrection du Mage de Massenet à Saint-Étienne
© cyrille cauvet

Voilà un événement et une (quasi) réussite, dont le mérite revient avant tout au directeur musical de l’Opéra de Saint-Étienne, le chef Laurent Campellone. Une (divine) surprise aussi, qui aura heureusement étonné les mélomanes point vraiment accros de l’opéra-romance que livrait jusqu’à plus soif le Jules stéphanois – du genre « dis-moi que je suis belle et que je serai belle, éternellement ». Avec un seul regret : que cette découverte se fît uniquement par une version de concert.

Reprenons, point par point.
On sait – mais pas toujours – que Le mage, opéra en cinq actes (pas moins), fut créé à l’Opéra de Paris, avec un luxe de mise en scène et de décors façon IIIe République, au printemps 1891. On sait – rarement – que ce fut une exception dans la longue « litanie julienne » : un mauvais accueil par la critique et un bon accueil parisien sans suite firent rapidement disparaître l’ouvrage des scènes lyriques, tant françaises qu’étrangères, voire tomber dans un presque total oubli.

Ce Mage n’évite pas les faiblesses du côté dramatique, à travers le découpage convenu et le texte plus ultra-convenu encore de Jean Richepin, poète et littérateur se voulant volontiers iconoclaste, mais bien malhabile librettiste en réalité. Les prétentions de base du sujet ne sont point minces : évoquer, décrire et resituer le zoroastrisme, religion monothéiste iranienne de la haute Antiquité, autour du portrait de son fondateur, Zarathoustra, le Zoroastre des Grecs (ici Zarâstra). La base philosophique du zoroastrisme repose sur le feu, par essence salvateur, et sur la dualité entre le bien et le mal. On l’aura compris, l’on est plus proche de Wagner et de Richard Strauss que des bases littéraires alors exploitées par les « stars » de l’opéra français, Massenet en tête, même si Richepin à largement « conventionné » son intrigue, avec général vainqueur, grand-prêtre conspirateur, prêtresse éprise, amour impossible, amour rejeté, rivalités sous-jacentes, jalousie triomphante et happy end mitigé. Si l’on ajoute les autres conventions de l’opéra du moment, comme le (longuet) ballet obligé, histoire de faire danser le corps de ballet de Garnier, on voit que les risques sont grands.

Cela dit, une évidence s’impose à l’écoute de ce Mage : Massenet a puisé à des sources musicales nouvelles, sans rupture avec son discours habituel, sur une structure aussi riche que soignée, une orchestration aussi subtile que foisonnante, un art incroyablement abouti d’amalgame entre écritures vocale et instrumentale. La première nous vaut des airs d’une ductilité infinie (comme celui de la prêtresse Varheda au deuxième acte, Descendons plus bas) et des duos bien construits (tel celui qui l’oppose à son père Amrou). La seconde multiplie les recherches et les audaces harmoniques et orchestrales, à commencer par l’étonnante introduction du troisième acte où les cuivres, incroyablement sollicités, s’effacent peu à peu devant la marée montante de cordes, magnifiquement fluidifiées. Merci donc au maestro Campellone d’avoir redécouvert ce chef-d’œuvre, d’en donner une interprétation associant éclat et raffinement, engagement et relief – même dans le banal et languissant ballet – faisant merveilleusement sonner l’Orchestre Symphonique de Saint-Étienne, à la fois bien préparé, très motivé et merveilleusement expressif, à commencer par le premier violon Lyonel Schmit dont les solos s’avèrent d’une pureté incroyable. À cette plénitude s’associent la musicalité, la ductilité et l’homogénéité des Chœurs maison dirigés par Laurent Touche.

Le mage demande une interprétation vocale d’une absolue exigence, même si cette exécution n’induit pas les exigences scéniques qui multiplieraient d’autant plus les difficultés. On est plus proche de Lohengrin et d’Aida que de Thaïs ou Manon. Or, le concert stéphanois, frappé par un coup du sort, pâtit de la perverse pharyngite du ténor Luca Lombardo. En un mélange bien dosé d’audace et de professionnalisme, l’artiste a refusé un repli qui eût immanquablement annulé la soirée. Sa technique pallie partiellement des insuffisances temporaires dans le rôle phare de Zarâstra, lui offrant l’hommage d’un public subjugué.

Le reste de la distribution provoque nettement moins d’enthousiasme. Le soprano français Catherine Hunold est une Anahita épanouie, au registre large, à la puissance solide, mais à l’aigu trop marqué, tendu, durci, bref décalé de la ligne de chant. Le mezzo américain Kate Aldrich semble également ne pas correspondre vocalement au rôle de la prêtresse Varheda – lequel frôle plus d’une fois la tessiture du soprano, il est vrai. L’émission change indiscrètement d’un registre à l’autre, même si la musicalité est grande. Côté masculin, l’Amrou du baryton Jean-François Lapointe est musical à souhait, mais le Roi de Marcel Vanaud est vraiment en fin de règne vocal. En revanche, les deux jeunes chanteurs de l’équipe laissent bien présager de l’avenir du chant français : Julien Dran [lire notre chronique du 19 octobre 2012] dans le rôle (Prisonnier) et Florian Sempey (Chef touranien).

La cité stéphanoise vient de célébrer intelligemment et magnifiquement le centenaire de la mort de l’enfant du pays.

GC