Chroniques

par bertrand bolognesi

Le Magnifique
opéra-comique d’André Grétry

Opéra de Reims
- 26 novembre 2022
"Le Magnifique" d’André Grétry à l'Opéra de Reims
© jean-christophe hanché

Puisant l’argument dans un conte de Jean de La Fontaine, à l’instar d’Antoine Houdard de La Motte dans le premier tiers du siècle, le dramaturge Michel-Jean Sedaine (1719-1797) écrit le livret d’une brève comédie en musique, pourrait-on dire, Le Magnifique, pour le Liégeois André Grétry (1741-1813). L’œuvre est représentée à la Comédie-Italienne le 4 mars 1773, puis reprise le 26 à Versailles, devant Louis XV et vraisemblablement la Dauphine venue d’Autriche, Marie-Antoinette qui, une fois devenue reine, apporterait tout son soutien au compositeur, comme à nombre d’artistes de son temps. Après celle avec François-André Danican Philidor – Le diable à quatre (1756), Blaise le savetier (1759), L’huître et les plaideurs (1759), Le jardinier et son seigneur (1761), Ernelinde (1773) et Les femmes vengées (1775) – et parallèlement à celle, plus florissante encore, avec Pierre-Alexandre Monsigny – On ne s’avise jamais de tout (1761), Le roi et le fermier (1762), Rose et Colas (1764), Aline, reine de Golconde (1766), Le déserteur (1769), Le faucon (1771), Félix ou L’enfant trouvé (1777), Pagamin de Monègue (1792) –, la nouvelle collaboration de Sedaine avec Grétry commence par cette « comédie en trois actes mêlée d’ariettes », pour ainsi dire opéra-comique. Quelques années passeront avant qu’elle porte ses fruits et que les deux artistes donnent le jour à d’autres ouvrages : Thalie en 1783, puis le plus fameux Richard Cœur de Lion (1784), bientôt suivi d’Amphitryon (1785), Le Comte d’Albert (1786), La suite du Comte d’Albert (1787), Raoul Barbe-Bleue (1789) [lire notre chronique du 13 mai 2016], Guillaume Tell (1791) [lire notre chronique du 11 juin 2013] et Basile (1792).

Soucieuse de porter à la connaissance du mélomane des ouvrages oubliés par le temps mais qui furent typiques de leur époque – ici via un genre qui envahirait la scène lyrique au siècle suivant : l’opéra-comique, soit du théâtre chanté qui fait large part au dialogue, comme on le trouvera bien plus tard avec Carmen, par exemple –, la compagnie Les Monts du Reuil (en résidence à l’Opéra de Reims), à laquelle l’on doit de connaître en scène Le jeune sage et le vieux fou d’Étienne-Nicolas Méhul et Le devin du village de Jean-Jacques Rousseau [lire nos chroniques du 7 mars 2017 et du 11 août 2018], s’est attelée à ce Magnifique à travers une production signée Stephan Grögler. Loin des stylisations relativement minimalistes auxquelles le metteur en scène franco-suisse nous a habitués [lire nos chroniques de Niobé, La Cenerentola, L’amour coupable, Sortilèges et carafons, Die weiße Rose puis Hin und zurück], le plateau s’avère sévèrement encombré. Dirigés du clavier par la pianofortiste Hélène Clerc-Murgier, par ailleurs romancière (Abbesses, 2013 ; La rue du bout-du-monde, 2016 ; L’affaire Chevreuse, 2020), et de l’archet par sa complice Pauline Warnier, une dizaine de musiciens occupe le quart supérieur gauche, le jeu s’organisant entre l’arrière-fond droit et le demi-cercle le plus bas. Un appareillage de cloisons plus ou moins peintes en rose, plusieurs écrans où sont projetés des cartons comme au cinématographe puis des médaillons représentant Florence où se déroule l’intrigue – Horace Le Magnifique, comme autrefois Lorenzo de’ Medici, il Magnifico – et un David démultiplié, un fauteuil clémentine (la couleur du prénom même de l’héroïne), enfin l’invasion de potiches chinoises finissent d’entraver l’espace.

On goûte l’humour distancié avec lequel débute l’affaire, en une sorte de générique où défilent personnages de la pièce et chanteurs du jour, ainsi que le chapeau loufoque qui résume la fonction d’Alix, femme de chambre de la maisonnée d’Aldobrandin, le bourgeois roué qui, d’antan, a si bien fait disparaître le père de la belle Clémentine. De fait, Gaëlle Méchaly s’empare du rôle à-bras-le-corps dans une composition plutôt amusante qui ne dépareille pas le chant. Lui fait pendant le majordome Fabio que Pierre-Michel Dudan campe d’un baryton solide et d’une présence scénique efficace. Proche d’un Louis de Funès sans oser toutefois pousser jusqu’à lui, Thomas Morris est un peu diffus en barbon manipulateur. Le couple de jeunes gens qui, après le dénouement heureux qui punit les coupables, convolera en justes noces bénéficie du soprano chaleureux et agile de Jeanne Zaepffel (Clémentine) et du ténor aimable de Xavier Flabat (Octave).

BB