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Chroniques
Le messie du peuple chauve
opéra d’Éric Breton
Opéra Grand Avignon a reconduit le dispositif utilisé pour Histoire du soldat il y a une semaine [lire notre chronique du 14 novembre 2020], en filmant et retransmettant en direct sur sa chaîne YouTube le spectacle joué à l’Opéra Confluence, sa salle provisoire. Si l’opus de Stravinsky était donné avec une bande-son, il s’agit bien cette fois de musique vivante, avec instrumentistes, choristes et solistes – d’autant plus qu’aucun enregistrement n’est disponible, puisqu’il s’agit de la création mondiale de l’œuvre, Le messie du peuple chauve, adaptée du roman éponyme d’Augustin Billetdoux (né en 1986), publié en 2012, par le compositeur lui-même, Éric Breton (né en 1954).
L’ouvrage d’une heure et trente minutes environ est présenté comme une fable moderne au cours de laquelle Simon, atteint, comme bon nombre de ses semblables, d’une calvitie précoce, réalise que ce mal est lié au dérèglement climatique de notre planète, établissant un lien entre perte des cheveux et déforestation, voire diminution de la biodiversité. Pour les rares journalistes autorisés dans la salle, la mutation vers l’opéra de cette intrigue originale se heurte toutefois à plusieurs problèmes, en premier lieu l’absence de surtitres. En effet, le texte est plutôt difficile à comprendre, surtout celui qu’émettent les interprètes féminines, et ce handicap peut rapidement décourager tout spectateur qui ne connaît pas les détails de l’argument. Certaines bribes de phrases nous éclairent, comme « …un don… pas de père » qui suggère que Simon a sans doute été conçu par procréation médicalement assistée, mais d’autres laissent dubitatifs, par exemple « …pourtant le soleil ne bouge pas… », « …un oxygène qui n’a pas de terre… ».
Éric Breton possède une incontestable facilité à composer une partition qui s’écoute agréablement, sans atonalité, et qui propose des contrastes assez marqués entre les scènes. L’écriture dessine efficacement les ambiances, un peu comme au cinéma l’on a l’impression de baigner un instant dans un polar américain, puis dans une comédie musicale. Dans la première partie, on avoue tout de même être trop peu surpris et séduit par un style qui se rapproche plusieurs fois du musical (on pense à Bernstein), avec quelques passages plus classiques mais souvent bien courts qui pourraient évoquer Poulenc ou une couleur debussyste. Puis l’intensité grandit pour un moment choral démarré a capella, « Combien de millions sommes-nous ? Peuple infortuné […] peuple bâillonné, peuple oublié, peuple humilié… ». Dirigé par Samuel Jean [lire notre chronique du 22 novembre 2013], l’Orchestre National Avignon-Provence est absolument impeccable pendant toute la représentation ; il va crescendo-decrescendo en séquences répétitives aux échos minimalistes de Phil Glass ou John Adams, cette fois.
Cela fonctionne bien avec la mise en scène de Charles Chemin, d’une lisibilité désormais plus aisée, l’attention du spectateur ne se relâchant plus jusqu’au dénouement funeste. Le tableau final prend place à l’ONU où une danseuse fait d’abord le ménage en rythme avec serpillère et chiffon, avant que le Président se place tout en haut d’un pupitre géant. Simon, comme un messie, vient plaider la cause de ses congénères et plus largement la survie de la planète : « au nom du peuple chauve, je suis celui qui dit : assez ! ». Mais, abattu par un membre de la sécurité, il tombe quand « tout est accompli ». Question de goût personnel sans doute, ce dernier tiers de l’ouvrage semble musicalement plus inspiré, depuis le brillant des cuivres et des percussions qui introduit la scène de l’ONU, en passant par le solo au cor anglais avant l’intervention du Président, jusqu’à la tension dramatique liée à l’assassinat de Simon et le trio féminin autour de la dépouille. Les dernières paroles reviennent aux choristes enfants qui attendaient patiemment, installés sur les deux premiers rangs d’orchestre avant d’intervenir. Sur un plateau noir, la scénographie d’Adrian Damian s’articule autour de rares éléments de décors : d’abord une grande sphère suspendue, bardée de néons représentant a priori le soleil, qui peut passer du blanc au rouge. Une toile tendue en fond de scène permet de jolies images en ombres chinoises, comme ce grand monticule qui prend une allure de haute montagne sur l’écran.
Dans le rôle de Simon, le ténor Pierre-Antoine Chaumien est suffisamment sonore et produit d’appréciables efforts de diction [lire nos chroniques de La traviata et Die tote Stadt]. Laurent Deleuil (Président) est un baryton au joli grain [lire notre critique du CD Le travail du peintre, salué d’une Anaclase! le mois dernier], tandis que le timbre de la basse Adrien Djouadou (Judas) est significativement plus sombre [lire notre chronique du 30 septembre 2017], les deux accusant cependant un certain inconfort dans les notes graves que sollicite le compositeur. Côté féminin, on goûte au timbre profond et de belle couleur du mezzo Marie Kalinine en M.M. [lire nos chroniques de La Navarraise, Renaud, La Princesse de Trébizonde et Peer Gynt]. Lydia Mayo tient le rôle de la Mère (de Simon), tandis que l’écriture vocale du personnage Capilea Domina relève du colorature débridé, bien défendu par Géraldine Jeannot dans ses premières interventions en savante folle, sous une perruque rousse ébouriffée. Un grand air, à peu près au milieu de l’opéra, est confié au rôle d’Elsa, bien chanté par le soprano Chloé Chaume.
Il faut accorder la mention finale, et spéciale, aux Chœur et Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, remarquablement préparés par Aurore Marchand, qui font preuve, tout du long, d’une impressionnante cohésion et d’une belle présence vocale, aussi bien dans leur ensemble que par pupitres. Le spectacle, accompagné des sous-titres, devrait être disponible en replay dans quelques jours sur le site de l’institution.
IF