Chroniques

par gilles charlassier

Le nozze di Figaro | Le mariage de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra Royal de Wallonie, Liège
- 6 avril 2018
Emilio Sagi signe "Le nozze di Figaro" (Mozart) à Liège
© lorraine wauters | opéra royal de wallonie

Les amateurs d'illustrations théâtrales habiles et élégantes voteront sans hésiter pour Le nozze di Figaro réglé par Emilio Sagi. En costumes pastichant l'époque de la création, imaginés par Gabriela Salaverri, la mise en scène est scellée par une toile reproduisant un rideau rouge traditionnel translucide : cette fidélité visuelle au siècle des Lumières se donne d'abord comme une méditation onirique. Dessiné par Daniel Bianco, l'actuel directeur du Teatro de la Zarzuela, à Madrid (aux prises avec un conflit social suscité par le projet opportuniste du gouvernement espagnol d'une fusion avec le Teatro Real), le décor assume un agrément de l'œil et une littéralité épurée dans laquelle se peut deviner l'ascendance d'un Giorgio Strehler. Réglés par Eduardo Bravo, les éclairages caressent l'antichambre de l’Acte I, l'appartement de la comtesse depuis ses fenêtres côté jardin – on ne soulignera pas l'homonymie topographique avec le balcon d'où s'enfuit Cherubino –, la salle des mariages avec ses chaises blanches en ordre de séance, enfin le jardin de tergal aux chlorophylles plus vernies que nature et sans doute plus exotiques que ne l'exige l'Andalousie du livret. La direction d'acteurs garantit le confort herméneutique d'une observance presque stricte des didascalies, quoique non exactement intégrale, pour laisser respirer les personnages et le spectacle. La chorégraphie de Nuria Castejón impose la contingence de la couleur locale des castagnettes sur le fandango du III, emprunté par Mozart au Don Juan de Gluck [lire notre chronique du 17 mars 2018], procédé hautement savoureux d'un point de vue rétrospectif.

Une fraîcheur juvénile souffle sur une partie de la distribution.
Repérée ces dernières saisons à ici et là, Jodie Devos distille une Susanna aérienne et fruitée, à la ligne séduisante, qui laisse éclore sa musicalité dans un remarquable Deh vieni non tardar, frémissant de nuances délicates [lire nos chroniques de L’hirondelle inattendue, Le chalet, Le timbre d‘argent, Pygmalion et Die Zauberflöte]. Récemment remarqué en Masetto [lire notre chronique du 4 juin 2017], Leon Košavić lui donne la réplique en Figaro à la voix claire et bien projetée – avec une aisance dans le haut de la tessiture excédant peut-être les attendus de cette dernière – qui recèle encore quelques marges de maturation. Désormais bien connue des mélomanes sur instruments anciens [lire nos chroniques de Phèdre, Armide et Les Indes galantes], Judith van Wanroij fait valoir un évident engagement dans son incarnation de la Comtesse et une non moins indéniable maîtrise des inflexions affectives (notamment dans les récitatifs), qui contraste avec le Comte plus bonhomme de Mario Cassi dont les couleurs vocales soulignent avec à-propos cette caractérisation psychologique. Raffaella Milanesi fait friser l'impétuosité volubile de Cherubini, maîtrisant le vibrato alerte que d'aucuns attendent dans ce travesti. Julien Véronèse affirme un Bartolo généreux, doué d'une plénitude de moyens que l'on oublie parfois pour ce barbon.

Le reste du plateau ne démérite aucunement. Alexise Yerna résume sans faiblesse l'idiosyncrasie de Marcellina, tandis que l'on goûte l'innocent babil de la Barbarina de Julie Mossay. Enrico Casari réserve un solide Basilio quand Patrick Delcour revêt avec gourmandise l'habit d'Antonio – d’instinct, il s'abstient de le réduire à la caricature. C'est dans les effectifs du Chœur, préparé efficacement par Pierre Iodice, que sont puisées les interventions de Curzio (Stefano de Rosa) et des deux jeunes filles (Myriam Hautregard et Anne-Françoise Lecocq).

Dans la fosse, Christophe Rousset accommode avec intelligence son geste aux pupitres de l'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. Il favorise une dynamique souple et décantée qui ne confond pas le classicisme viennois avec la rhétorique baroque ou Sturm und Drang. Le continuo, que le chef français assume au clavier, s'inscrit dans cette veine sobre, ne cédant pas à la tentation concertante que certains exhibent. En somme, un beau travail d'homogénéité collégiale.

GC