Chroniques

par cécil ameil

Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Théâtre royal de La Monnaie, Bruxelles
- 13 juin 2009
à La Monnaie (Bruxelles), Le nozze di Figaro (Mozart) vu par Christof Loy
© dr

Mozart, à la fois audacieux et inspiré, est parvenu à créer Le Mariage de Figaro en quelques mois à Vienne, avec l'aide du librettiste Da Ponte, deux ans seulement après la première représentation de la pièce de Beaumarchais en France. Nous sommes en 1786, il reste encore trois ans avant que n'éclate la Révolution Française. Ladite pièce, La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro, fut pourtant censurée en France pendant plusieurs années, tant elle bouscula les convenances, considérée qu’elle était, par sa dénonciation des privilèges archaïques de la noblesse, comme l’un des signes avant-coureurs de la révolte. Convaincu que Mozart placerait son talent exclusivement au service de la musique, l’empereur autrichien Joseph II donna son approbation avant même qu’en soit écrite la première note. Ce qui ne l’empêcha pas, dit-on, de bailler à la première – il faut dire que l’ouvrage en quatre actes dure près de trois heures, et la fin (comédie des fausses identités, où chacun prétend être un autre dans l’obscurité du parc du château) est assez complexe.

Au-delà de la satire évidente des conventions sociales, on est surpris de la modernité d’une œuvre qui laisse place à la méditation et à l’expression des sentiments tout en plaçant la femme et l'amour au centre des attentions, reconnaissant aux deux sexes un sens élevé de l'honneur. Dépouillées des références politiques de l’original, et divinement mises en musique, Les noces de Mozart offrent également un admirable équilibre de légèreté et de gravité dans ce qu’il est convenu d’appeler un opéra populaire : livret au ton facile et musique extraordinairement accessible. L’ouverture presto, joyeuse et fébrile (n'oublions pas que c’est un mariage et que l’histoire se déroule sur une seule journée), la liberté de ton de Figaro et ses propos tour à tour flatteurs et directs, entrecoupés d’airs clairement adressés au public (du Se vuol ballare qui prétend inviter le Comte à en découdre à l’Aprite un po quegli occhi qui appelle à ouvrir grands nos yeux sur les femmes), les deux hymnes à l’amour de Chérubin et la trame même de l’histoire (suite de quiproquos sentimentaux à l’effet comique évident) nous transportent d’allégresse. La composition même de l’orchestre, limité à une trentaine d’instruments, dont les fameux cors de chasse chers au compositeur, y est pour beaucoup, et cela se ressent sous la baguette précise et sensible du Français Jérémie Rhorer.

Dans une mise en scène et des costumes par ailleurs très sobres de Christof Loy, produits en 1998 pour cette même maison, repris ici par son assistante Dagmar Pischel, tout se déroule dans un même décor dont chanteurs-acteurs exploitent l’espace au mieux, ce qui contribue à la légèreté de l’ensemble.

Inversement, la Comtesse, peut-être le personnage central de la pièce après Figaro – femme trompée et bafouée, mais « profondément humaine dans l’expression de sa peine, intelligente aussi » (Pischel) -, confère à l’œuvre une profondeur surprenante. Incarnée par la chanteuse argentine Virginia Tola, à la belle présence scénique, elle ouvre l’Acte II avec son premier air Porgi amor (accorde-moi, ô amour…), très émouvante dans l’imploration dépouillée. Mais plus encore, le magnifique air du III, Dove sono est une merveille d’expressivité – que l’Argentine déclame avec une voix décidément superbe. Il en va de même du Comte qui, malgré son caractère volage, est avant tout un homme d’honneur dont les sentiments peuvent s’exprimer avec une ardeur souvent dramatique (Crudel, perchè finora en duo avec Suzanne dans l’Acte III), si pas franchement violente. Et si l’Allemand Roman Trekel n’a sans doute pas la voix nécessaire à la dimension de son personnage, son jeu plein de conviction arrive à convaincre de sa gravité.

La trame même de l’histoire, dont les noces ne sont qu’un prétexte, donne libre cours aux querelles d’un couple aristocratique dans un surprenant vaudeville. En écho, et malgré l’écart des conditions sociales, Figaro et Suzanne épanchent aussi ouvertement leur complicité, tourmentés par les doutes et insistances de leur entourage. En outre, l’expression extraordinairement délicate de Chérubin dans ses deux airs célèbres sur l’amour, la Croate Janja Vuletić est admirable de simplicité, sans sacrifier à l'intensité -, l’intelligence fine de Suzanne – excellente Bernarda Bobro, principale opératrice des cachotteries, subterfuges et autres jeux d’ambigüité, ou bien les retrouvailles émouvantes entre Figaro et ses parents, belle surprise de la pièce, ajoutent une touche très sensible à l’œuvre.

Dans un opéra musicalement si remarquable, au service d’un livret tellement inspiré, on sourit d’entendre le maître de musique – Don Basilio, joué par John Graham-Hall – nous conter qu’il faut savoir raison garder et se protéger des tourments du monde avec humilité, en revêtant la peau d’âne qui éloigne la bête féroce (honte, déshonneur, mort) par sa puanteur (In quegli anni in cui val pocco). Indépendamment de l’interprétation – John Graham-Hall ne respectait pas le rythme ce soir-là, et l’orchestre avait bien du mal à le suivre –, n’est-ce pas le clin d’œil d’un Mozart lucide mais inquiet de l’audace de sa création ? Le pardon que la Comtesse accorde finalement à son mari permet de tout achever dans la réjouissance, rendant ainsi à l’œuvre son caractère fondamental d’opéra-bouffe, sans déshonneur ni mort.

CA