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Chroniques
Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
À l’inverse de l’Opéra national de Paris où Le nozze di Figaro est régulièrement représenté, l’ouvrage n’avait pas été donné à l’Opéra de Lausanne depuis dix ans. Pour clore cette saison, la mise en scène en est confiée au Suisse Marco Arturo Marelli qui, comme pièce maîtresse du décor, choisit l’esquisse d’une fresque de Francisco Bayeu y Subias, peintre espagnol de la seconde moitié du XVIIIe siècle. De facture très classique, la scénographie et les costumes indiquent clairement une volonté de ne pas transposer l’œuvre. Si l’on peut reprocher à Marelli un manque d’inventivité, sa mise en scène a le mérite d’exhaler le frisson de désir qui court tout au long de cette « folle journée ». Rien n’est moins évident, tant l’Orchestre de Chambre de Lausanne, dirigé par Juanjo Mena, manifeste de raideur dès l’ouverture.
Le principal mérite de cette production est sa distribution.
Les chanteurs sont tous bons comédiens et correspondent physiquement aux rôles. Incontestablement, la révélation de la soirée est Carine Séchehaye en Chérubin ; la jeune femme est un vrai mezzo à la voix ronde, corsée, et à la technique sûre. Outre ses qualités vocales, elle se révèle remarquable actrice. Au gré de multiples travestissements, elle se fait tour à tour candide ou au contraire plus entreprenante, au point d’extorquer à la comtesse un troublant baiser. Dans le désarroi des désirs et sa découverte de la femme, elle insuffle au rôle du page une impétuosité et une émotion touchantes.
En complice du jeune travesti, Amel Brahim-Djelloul compose une Susanna jolie, piquante et gracieuse. Fraîche et claire, sa voix convient parfaitement à cette soubrette mutine, et l’on comprend qu’elle fasse tourner la tête du Comte Almaviva – Jean-Luc Chaignaud. Fort convaincant, son Hai vinta la causa dénote une voix vaillante dont certaines inflexions sombres laissent montrer les parts d’ombre du personnage. En revanche, Karen Vourc’h déçoit dans les deux airs de la Comtesse. Si la beauté de la voix nous avait séduit dans Pamina à l’Opéra d’Avignon [lire notre chronique du 5 janvier 2007], sans doute l’artiste n’a-t-elle pas encore la maturité suffisante pour apporter au rôle la nostalgie, le legato et l’émotion qui lui conviendraient.
Riccardo Novaro dispose d’un beau timbre et se montre parfaitement à l’aise dans le rôle de Figaro, apportant même au Se vuol ballare quelque chose d’imposant qui rend son propos d’autant plus grinçant. C’est peut-être l’autre réussite de cette production qui, par sa volonté de coller au plus près du texte, le rend parfaitement lisible. Le défaut de la mise en scène – la faiblesse de l’imagination – se retourne en avantage. Loin de privilégier telle ou telle interprétation, sa neutralité permet paradoxalement de mieux entendre le texte de Lorenzo da Ponte qui, même débarrassé du soufre de Beaumarchais, révèle une forte dose de rébellion contre l’ordre établi. Sans doute jamais autant que dans cet air-là Mozart n’aura pu dire faire les humiliations infligées par les grands. Quelque deux cents ans après, ce message d’égalité a-t-il tellement vieilli ?
IS