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Chroniques
Le pauvre matelot, opéra de Darius Milhaud
The medium, opéra de Gian Carlo Menotti
« Une période passionnante qui en appelle à un monde nouveau ! » : ainsi Olivier Desbordes résume-t-il ces années cinquante qui furent pour l'opéra une période de réflexion sur la forme, qu'elle s'exprime par une refonte des standards nationaux ou par la recherche de sujets modernes. Durant quatre semaines, le festival dijonnais, borné par Les caprices de Marianne d'Henri Sauguet, propose des œuvres rares comme One touch of Venus (Kurt Weill, 1943), Good Soldier Schweik (Robert Kurka, 1957) et les deux ouvrages au programme ce soir : Le pauvre matelot de Darius Milhaud (1927) et The medium de Gian Carlo Menotti (1946). Ce dernier, coproduction avec l'Opéra de Fribourg et celui de Besançon annoncée en français, est heureusement chanté dans sa langue originale.
Le choix d'ouvrages lyriques courts à rassembler autour d'un entracte est toujours délicat. Ici, le lien apparaît dans le fond (la peur de la misère, de l'inconnu, de la mort, etc. générant deux morts violentes) et Vincent Vittoz s'en sort plutôt bien pour la forme. À l'aide d'un décor unique composé d'un sol pentu, annonçant le déséquilibre des héroïnes, et de murs tendus de tissus tantôt sombres tantôt translucides, il crée des univers parallèles autour de l'action principale : cuisine où le vieux lit son journal, chambre servant au médium à s'attifer puis à se mettre à nu, armoire comme huis-clos de la mystification forment tour à tour des espaces prosaïques ou symboliques. En optant pour la mise en scène du meurtre final dès l'ouverture des deux ouvrages, Vittoz élève des faits divers au rang de tragédie.
Ni du meilleur Milhaud, ni d'un Cocteau d'exception, la complainte en trois actes apparaît comme le raté de la soirée. La scène s'encombre de détails dérangeants (le banc et le réverbère, à deux pas des tables de la maison) et les personnages paraissent désincarnés : que l'ami ne soit pas heureux du retour de son rival se conçoit, mais la fidèle épouse pourrait se montrer plus vive à cette nouvelle. Avec un beau-père à canne caricatural qui vient demander à sa fille couverte de sang, un marteau à la main, si l'invité dort encore, on ajoute le saugrenu à la froideur. De plus, la distribution ne séduit que par la présence de Brigitte Antonelli, au chant souple et d'une belle articulation, et celle de Vincent Deliau dont à Lausanne nous avions déjà salué les notes rondes et fermes [lire notre chronique du 18 novembre 2005]. Un peu étriqué, avec des passages à l'aigu parfois difficiles, Jérôme Billy est un matelot sans pied marin.
Dans l'univers triste et suranné de Madame Flora, le drame se noue de façon plus convaincante. La lampe-guéridon qui descend des lustres sur commande ainsi que les trappes d'où l'on tire les accessoires offrent un espace désolé, reflet des pauvres existences qui passent ici. D'une autorité naturelle, Béatrice Burley compose une Baba ne manquant ni de puissance, ni de couleur dans les graves. Incarnant Monica, Elizabeth Bailey possède un timbre juvénile, une aisance corporelle et vocale propres à émouvoir. Avec le couple Gobineau, nous retrouvons les nuances de Brigitte Antonelli et découvrons la vaillance de David-Alexandre Borloz, beau-père caverneux bien décevant en première partie. Dans le rôle muet de Toby, Jean-François Michelet sait doser son implication sans pathos.
Entraînant l'Orchestre du Duo Dijon dans une tendre lyrisme, soucieux du suspens et des chanteurs, Laurent Gendre contribue largement au succès de cette deuxième partie de soirée.
LB