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Chroniques
Le printemps du baroque
un après-midi avec Marc Minkowski
Lorsqu'on regarde la discographie de Marc Minkowski et des Musiciens du Louvre, c’est le succès, public et critique, qui semble les avoir toujours accompagnés. Et à voir les récompenses reçues depuis la création de l’ensemble en 1982, qui se douterait des difficultés innombrables qu’il fallut affronter ?
Le mérite de Classique en images est de montrer – à travers des rencontres comme celle proposée en ce dimanche après-midi avec Marc Minkowski – la somme de travail, mais aussi les déconvenues, les problèmes liés à la survie des ensembles, ou la souffrance ressentie lorsque des critiques parfois superficielles viennent s’attaquer aux artistes plutôt qu’à ce qui bien souvent leur interdit de mener à bien, et en fonction de leurs goûts, certains projets. Dans la série d’extraits de films proposée, force est de constater que créer et faire vivre un ensemble orchestral fut parfois rude épreuve pour la seconde génération du renouveau baroque. Et pourtant, entre le premier film où l’on découvre les Musiciens du Louvre en 1989, et leurs vingt ans en 2002, que de progrès accomplis !
Marc Minkowski dévoile un peu de ce qui fait la vie d’un jeune orchestre entre deux concerts. Tout d’abord, les innombrables visites pour obtenir des subventions. Et là, il arrive, quand on débute, d’entendre des choses assez décourageantes de bêtise : « ne marcheriez-vous pas sur les plates-bandes de vos aînés ? », « pourquoi ne demandez-vous pas au Louvre de vous prêter un bureau ? », etc. Mais il en aurait fallu plus pour briser son enthousiasme. C’est à Grenoble que les Musiciens du Louvre ont fini par trouver l’écoute et l’accueil qui ont permis de forger l’avenir. Ils y ont rencontré des personnes ayant envie de partager le bonheur de la musique.
Lorsqu’on est un jeune chef d’orchestre et que l’on veut monter des opéras, il faut aussi accepter de se voir imposer des conditions pouvant détruire l’idée que l’on se fait des œuvres. C’est ce que nous montre un film réalisé lors des répétitions de Phaéton de Lully en 1993. Avec son franc parler, Minkowski raconte les déboires liés à cette production, toutes les déceptions générées par l’anéantissement d’un projet qui lui tenait à cœur à cause du choix malheureux d’un metteur en scène imposant des idées totalement inadaptées, trahissant les attentes non seulement des artistes mais également du public.
En 1993, le souvenir d’Atys pesait sur toute nouvelle production baroque. Alors que Minkowski rêve d’aller plus loin, comme le lui permet le livret de Quinault, en offrant une restitution en machine, il se heurte à une chorégraphe metteur en scène exigeant des chanteurs de se faire danseurs dans une conception ultra contemporaine et d’une extrême laideur d’une œuvre qui offre pourtant de quoi prolonger l’émerveillement provoqué par les aînés, William Christie et Jean-Marie Villégier. Il se trouve en fait confronté à la peur d’un vocabulaire, d’un mot : restitution.
C’est aussi l’occasion pour l’artiste de s’interroger et d’interpeller amicalement un public n’hésitant d’ailleurs pas à rire et à l’applaudir pour la franchise de ses opinions face à la chorégraphe (durant le film). Quand faut-il cesser de persévérer dans un projet ? Doit-on refuser, alors qu’arrive la chance extraordinaire de monter un opéra et que l’on n’est encore qu’un quasi débutant, de voir trahir ses espérances par un metteur en scène ? S’il avait refusé, son ensemble aurait-il survécu ? Aurait-il pu mener à bien d’autres projets ? Si certains projets ont pu générer chez lui un sentiment de frustration sur le moment, il se laisse gagner par l’émotion, avec le recul, comme en revoyant l’extrait du duo final du Couronnement de Poppée. L’épure de la mise en scène qui l’avait mis mal à l’aise à l’époque met en évidence l’extrême beauté de l’union des timbres de Mireille Delunsch et Anne Sofie Von Otter. Quoi qu’il arrive, c’est la musique qui toujours finit par triompher. D’ailleurs, dans cette lutte pour faire entendre la voix, l’avis des musiciens a peut-être permis à de nouveaux metteurs en scène de pouvoir proposer une restitution bien plus en harmonie avec les œuvres : Benjamin Lazar et Ivan Alexandre sont désormais porteurs d’un nouvel espoir.
Une volonté de fer a mené à leurs vingt ans les Musiciens du Louvre. Ils ont fêté cet anniversaire au Théâtre du Châtelet, offrant une pluie d’étoiles pour célébrer l’un des compositeurs qu’ils ont le mieux servi : Rameau. Une fois de plus, les images démontrent qu’il vaut parfois mieux savoir prendre des risques – et donc des coups – pour atteindre au véritable éblouissement. Ayant vaincu les sortilèges, le concert pu démontrer que l’on ne doit jamais renoncer à ses rêves et passions.
De ce film émanent l’énergie, le dynamisme et la personnalité d’un chef hors du commun, faisant respirer son orchestre, offrant un arc-en-ciel de couleurs à des chanteurs qu’il a contribué à faire découvrir. Minkowski et ses Musiciens du Louvre ont occasionné près de trente années d’allégresse musicale. Nous leur devons quelques-unes des plus belles versions scéniques et discographiques des opéras de Rameau, mais également des œuvres de Händel, Haydn, Lully et bien d’autres. Car leur répertoire n’est pas uniquement baroque. Le propre de ses artistes est d’avoir mis en partage cette flamboyance et ce bonheur, si visible au concert, de toutes les musiques avec un public qui en redemande. Des applaudissements fournis remercient Marc Minkowski d’avoir accepté de parler de sa démarche, de ses doutes et de ses certitudes, de ses blessures et de ses joies.
On ne peut qu’une fois de plus encourager le lecteur à se rendre au Louvre pour participer à ces rencontres si rares et si riches d’enseignement, qui, à travers des images d’archive, font découvrir toute la richesse du monde baroque passé, présent et en devenir.
MP