Chroniques

par monique parmentier

Le Printemps du Baroque
une semaine avec Les Arts Florissants

Classique en images / Auditorium du Louvre, Paris
- 28 et 30 janvier 2010
Les Arts Florissants au Printemps du Baroque
© michel szabo

Depuis déjà trois ans, le Louvre offre une thématique dans sa programmation à l'auditorium. Après Wagner et Beethoven, c'est, non pas un compositeur, mais une période qui permet de découvrir, grâce à des images d'archives inédites et méconnues, des conférences et des concerts, tout ce qui fait l'originalité d'un mouvement musical qui, en cinquante ans, connut un véritable bouleversement dans sa perception, sa connaissance et son interprétation.

Et pour ouvrir ces festivités printanières, c'est William Christie qui est venu réagir en premier aux images d'archives qui le concernent. Et quoi de plus normal, lorsque son ensemble Les Arts Florissants, qui fête ses trente ans, est à l'origine du renouveau baroque des années 1975/80 ? Christie fait partie de ceux dont la formation a été empreinte de l'influence d'une école romantique de l'interprétation de la musique ancienne. Parmi ses maîtres, Ralph Kirkpatrick, le claveciniste américain spécialiste de Scarlatti, dont quelques images lui ont permis d'évoquer la personnalité impressionnante, monstre d'intelligence mais jaloux et possessif.

De cette soirée nous retiendrons plutôt sa vive émotion, sur les extraits d'un film nous montrant des répétitions de Médée, avec Jean-Marie Villégier et Lorraine Hunt, ou sur les images de la comtesse de Chambrure. Ces réactions ouvrent la voix à bien des réflexions sur ce que fut et est le mouvement baroque.

Du documentaire sur les répétitions de Médée, dont on put voir la totalité du film samedi, nous reste d'abord le sentiment d'un immense regret. Les représentations de Médée ne furent pas filmées. Si Atys [photo] a survécu, l'un des nombreux mérites de ce Classique en images est donc de nous permettre d'accéder à des archives filmées d'une valeur inestimable, porteuse d'émotions. En regardant et en écoutant Lorraine Hunt durant cette répétition, on pressent avec une réelle intensité qu'elle fut une Médée exceptionnelle, tant elle se montre habitée par le rôle lors d'une répétition, s'y investissant au point de chanter sans réserve. Sa voix douce, sombre et profonde, son phrasé extrêmement clair et éloquent, envoûtent ces instants. Médée étrangère, Médée amoureuse, Médée qui, bien plus que la folie ou la rage, exprime un désespoir sans fond. Dans ses échanges avec Jean-Marie Villégier, Médée devient une femme-sorcière qui nous fait vivre son amour comme une blessure vive.

Lorraine Hunt brûle les planches, Villégier également. Au public d'aujourd'hui, il rend parlante l'œuvre tant sa connaissance lui permet de donner aux sentiments leur contemporanéité jusque dans leur historicité. Il crée ce lien sacré entre le passé et le présent, entre la fosse et la scène, entre l'acteur et la salle.

Ce film permet aussi de réaliser à quel point certaines salles, certains artistes aujourd'hui ne prennent plus assez de risques. Les programmations sont souvent trop sages, tandis que certains chantent trop souvent accompagnés de leurs partitions ou ne possèdent pas une diction suffisamment claire. Lorraine Hunt, dès les premières répétitions de Médée, nous démontre pourtant que rien n'est impossible : elle ose.

Les larmes à peine contenues de William Christie sur les images de la Comtesse de Chambrure, grande collectionneuse et mécène qui aida beaucoup d'artistes de ce renouveau baroque, nous rappelle simplement que si le temps passe, il ne faut surtout pas oublier que certains de ces chanteurs-pionniers, comme Dominique Visse ou Guillemette Laurens, tout comme William Christie, continuent leur carrière, avec succès, tout en devenant des passeurs.

Il ne s'agit pas de cultiver la nostalgie, mais surtout de ne pas s'installer dans le conformisme et la morosité, ou le confort de la facilité. Le vieillissement du public baroque ne peut qu'être constaté une fois de plus dans la salle. Il est le même qui, depuis vingt à trente ans, suit ces festivals nés dans l'élan que connut le baroque dans les années 1980. Des musicologues (même s'il n'est pas nommé, n'oublions pas Jean Lionnet) par leur travail et de jeunes interprètes par leur enthousiasme surent attirer un public cherchant un renouveau musical conforme à une quête personnelle. Et c'est cet enthousiasme partagé par tous les acteurs d'une production qui, encore aujourd'hui, peut provoquer des succès, comme Cadmus et Hermione.

Issu de l'esprit de mai 68, les jeunes artistes baroques, comme nous l'a conté William Christie, passaient, auprès des gendarmes français et de la population des villages de Vendée où Les Arts Flo' avaient trouvé refuge, pour une secte à surveiller de près. D'où l'engouement de ce public des origines, en soif de liberté, qui retrouvait dans le baroque l'esprit frondeur, moqueur, rieur, mélancolique de ce XVIIe siècle dont le classicisme et plus encore, quoi qu'on en pense, la révolution industrielle, gommèrent jusqu'à rendre lisse et puissante la musique devenue conquérante.

L'esprit baroque, se joue au coin du feu dans une longère vendéenne, dans une petite église glaciale. L'esprit baroque, c'est une musique de l'intime, de ce lien (entre compositeurs, artistes et public) si étroit qu'il consume l'âme. Le baroque, c'est une troupe comme les Arts Florissants à leur début, sillonnant les routes à la recherche d'un partage d'émotions avec un public retrouvant auprès des musiciens une famille, des ami(e)s que la vie réelle dans sa hâte ne peut plus donner. Le baroque, c'est la sincérité des sentiments jusqu'à l'absolu.

Ces images d'archives, ces réactions à chaud d'artistes nous montrent combien aujourd'hui ce mouvement dont le public a vieilli aurait grand besoin de se souvenir d'où il vient pour mieux séduire les générations futures. Car l'esprit baroque est éternel. Il ne tient donc qu'aux artistes, aux institutions et à tous ceux qui souhaitent le défendre de ne pas oublier ce qui le constitue. Dans une époque où tout est poli et bien pensant, il peut encore susciter cet enthousiasme qui fait vibrer. Par son esprit d'indépendance, sa fantaisie, son brin de folie, ces véritables audaces d'interprétation (et Benjamin Lazar qu'évoque William Christie fait partie de ceux qui y croient encore plus que tout), son amour du beau et cette passion des interprètes qui n'hésitent pas à devenir la flamme incandescente des madrigaux de Monteverdi ou des héroïnes de tragédie, il offre une issue au mal de vivre.

On ne peut que remercier le Louvre de nous donner accès à ces images. Elles démontrent que si la musique baroque a su bouleverser le public depuis bientôt presque cinquante années de recherche, c'est parce qu'elle nous relie au passé et à cette transcendance de l'existence par l'art. Sa générosité d'interprétation permet à l'humain d'y retrouver sa place. William Christie, infatigable, témoigne que si la gloire apporte des satisfactions, la plus grande d'entre elles est ce lien qu'a créé une proximité trentenaire avec le public. Et nous retiendrons cette phrase de lui extraite d'un des films présentés samedi, toute simple et avec le sourire : « la musique est trop belle ». Alors n'hésitez pas à profiter de ce Printemps baroque, parce que si la nostalgie est certes douce, le passé est aussi porteur d'avenir.

MP