• en marge

Diplômé de l’École Polytechnique et homme d’affaires au service de l’art, Vlad Troïtskii fonde le Théâtre Dakh (toit, en ukrainien) en 1994 puis, dix ans plus tard, le DakhaBrakha, un groupe de musique folklorique dit « ethno-chaos band », au nom formé sur les mots donner et prendre. En près de vingt ans, Troïtskii a mis en scène une cinquantaine de créations, et certaines font cohabiter théâtre et musique, tel le projet Ukraine Mystique, s’appuyant sur les pièces de Shakespeare. Avant de présenter Viï – le roi terre, inspiré par Gogol, d’ici quelques jours au Théâtre de la Ville (du 10 au 14 décembre), voici Le Roi Lear – prologue qui complète le cycle commencé avec Macbeth et Richard III.

« Sire, je vous aime plus que les mots ne peuvent l’exprimer / plus chèrement que la vue, l’espace et la liberté / au-delà de ce que l’on peut tenir pour riche ou rare […] » L’aînée Goneril, juste avant sa sœur Régane, ouvre le concours de compliments instauré par un roi vieillissant, en vue de partager son royaume. Hélas pour Cordélia, la plus jeune des sœurs et la préférée, l’hypocrisie n’est pas son fort : la voilà reniée par un père qu’elle adore sans pouvoir l’exprimer (lointaine ancêtre de ce Billy Budd incapable de parler autrement qu’avec ses poings). Conséquence de ce jugement malheureux, Lear va y perdre son rang, sa raison et la vie.

Troïtskii s’empare de la pièce créée en 1606 avec le choix de n’en traiter que le prologue, sans aucune trace de dialogue. Entièrement visuel, son spectacle puise notamment dans le bunraku (théâtre de marionnettes japonaises manipulées à vue) et se découpe en deux parties. La première, dans une ambiance de cabaret, permet la formation des couples princiers à l’occasion d’une danse sensuelle, tandis qu’une vieille femme aiguise sa faux, juste avant l’arrivée du souverain en mafieux sniffeur de coke. La seconde partie est marquée par la séparation et les rejets, avec lenteur du geste, jeux de lumière et omniprésence musicale.

En 1971, Le Roi Lear proposé par les studios Lenfilm faisait entendre la musique de Chostakovitch [lire notre chronique du 22 octobre 2006]. Quarante ans plus tard, nous entendons celle jouée par Irina Kovalenko, Nina Garenetska, Olena Tsybulska et Marko Halanevitch sur une estrade en fond de scène, à l’aide de différents instruments (bandonéon, tambour, violoncelle, flûte, etc.). En une heure et demie, différents climats sont dessinés pour un résultat audio-visuel souvent prenant, où la voix domine, haut perchée ou gutturale.

LB