Chroniques

par bertrand bolognesi

Le sacre du printemps
Jean-Efflam Bavouzet et François-Frédéric Guy

Lille Piano[s] Festival / Conservatoire et Salle Québec
- 16 juin 2013
le génie du Sacre du printemps, Igor Stravinsky, par Bavouzet et Guy à Lille
© dr

Notre dernière journée passée au Lille Piano[s] Festival se place sous le signe de la transcription, mais encore de l’opulente « double-table », voire du quatre-mains. Après un amuse-bouche de correcte facture, sans plus, à l’heure de l’apéritif, nous découvrons en fin d’après-midi le parcours wagnérien d’un Wilhem Latchoumia qui semble en petite forme. Il faut préciser que donner un récital dans une sorte de salle de réunion à plafond très bas aérée par une éloquente soufflerie qui en fait même danser les stores (salle Québec du Nouveau Siècle) n’est franchement pas idéal. L’acoustique non seulement métallique mais brutalement distribuée transmet ce que le heurt pianistique a de pire.

Il est assez préoccupant de convier des musiciens à se produire dans de telles conditions et un public à les y découvrir à leur désavantage. Certes, la politique tarifaire du festival est louable (de 8€ à 12€ la place, inégalable), mais apporter la musique à tous dans des écrins qui la dénaturent semble loin d’un projet globalement défendable. Si à l’usage l’auditorium du Conservatoire s’avère moins éprouvant quand on en fait l’expérience au balcon plutôt qu’au parterre, il est absolument certain que cette salle Québec n’a strictement rien à faire avec la musique.

Reprenant en partie le programme qu’il jouait il y a une semaine aux Bouffes du nord [lire notre dossier Festival Palazzetto Bru Zane], sans l’œuvre d’Alkan, Wilhem Latchoumia explore son Wagner à travers des pages écrites par l’Autrichien Alfred Jaëll (1832-1882), par le Belge Louis Brassin (1849-1884), mais encore Ferenc Liszt et Hugo Wolf, quant aux plus connus.

Après une Fantaisie sur des thèmes de « Rienzi » (Liszt) cultivée en force plutôt qu’en puissance, et relativement malmenée, s’élève subtilement la Transcription Op.112 d’après « Tristan und Isolde » (Jaëll) dans le tissu d’Im Treibhaus, conjugué au motif du Vorspiel. Directement enchaîné, Isoldens Liebestod (Liszt) reconcentre l’écoute. La chevauchée des walkyries (Brassin) bondit de rendez-vous manqués en roches assassines, tandis que la Paraphrase über Wagners « Die Walküre » (Wolf) bénéficie d’un fin travail de respiration et de nuance.

En début d’après-midi, Jean-Efflam Bavouzet et François-Frédéric Guy livrent à deux pianos LE moment musical de ce dimanche avec Jeux de Claude Debussy dont l’exécution débute dans une moire savante. Les bondissements qui s’ensuivent sont alors rondement menés, dans une conception généreuse qui s’inscrit dans un geste amplement phrasé. Vigoureusement virtuose, cette transcription redoutable est ici servie au mieux, avec une clarté « bluffante » qui dessine en grande pureté le mouvement.

Avec une couleur délicatement feutrée, puis des entrelacs minutieusement soignés, bientôt une rigoureuse différentiation des motifs, Le sacre du printemps (Stravinsky) convainc d’emblée. Il avance sa première partie dans une remarquable clarté du réseau de superpositions « obstinées », les pianistes distillant savamment un relief et une dynamique proprement chorégraphiques. Ouverte dans un mystère confondant, le second épisode prend l’auditeur par la main dans un monde sauvage dont les contrastes demeurent traversés par la danse, toujours. Encore l’anicroche conclusive en préserve-t-elle jalousement le secret.

BB