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Chroniques
Lear
opéra d’Aribert Reimann
Composé à l’initiative du chanteur Dietrich Fischer-Dieskau, Lear d’Aribert Reimann fait partie des rares opéras contemporains dont la pérennité est aujourd’hui quasi assurée. Créé en 1978 à Munich dans une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle, la production fut reprise dès 1981 en tournée à San Francisco et Paris. Dernièrement, il fut monté par Hans Neuenfels à Berlin (Komische Oper), à Francfort (enregistrement chez Oehms) et à la Staatsoper d'Hambourg dans une production de Karoline Gruber dont la première eut lieu le 15 janvier 2012.
Cette mise en scène prend assez peu parti : ni les costumes du début du XXe siècle (Mechthild Seipel) ni les décors (Roy Spahn) n’arrivent à définir une époque, et la première scène ouvre sans musique sur l’arrivée de tous les protagonistes dans une pièce noire dont les grandes marches permettent de placer des chaises à différentes hauteurs. Lear entre en scène avec une carte de l’empire à diviser entre ses trois filles ; il commence à chanter a cappella, dos au public. Les habits feraient d‘abord croire à une adaptation de l’histoire dans la mafia américaine, mais cette idée ne correspond pas à la suite, lorsque le plateau tournant propose un tunnel ressemblant à celui d’une mine de charbon, puis un décor sur lequel est bâti rapidement une petite maison de forêt à droite, tandis que sont positionnés quatre coupes en or sur des podiums à gauche. Toute la scène de l’exil se passe entre des murs noirs enchevêtrés sur lesquels sont inscrits des mots en rapport avec le livret, tels König, Reich, Tot, Vergessen (roi, royaume, mort, perdu).
La dernière scène ramène au décor initial, à cela près que toutes les marches sont renversées et qu’un drapeau français cassé trône au milieu, montrant le désastre des conflits de pouvoir inhérents à la pièce de Shakespeare. L’une des deux plus belles idées est l’utilisation d’un tas de bottes au début de l’exil, avec lequel le roi se morfond en comprenant sa chute et le vide de sa fonction lorsqu’elle n’est plus associée à la puissance. L’autre bonne idée est, à la fin, l’arrivée morbide du narrateur, chauve, voilé et en robe de mariée qu’il enlèvera pour la donner à Lear. Le traitement des lumières (Hans Toelstede) accompagne simplement ce travail sans créer de réels climats d’angoisse qu’autoriserait l’œuvre, et la direction d’acteur (Kerstin Schüssler-Bach) ajuste les rôles sans leur donner d’ampleur particulière.
Bo Skovhus incarne comme toujours son personnage avec une grande maîtrise d’acteur, laissant ici de côté la grandeur du rôle pour ne faire ressortir que la peur et le mal-être du roi trahi. Le timbre n’a pas la profondeur qu’on put lui connaître quelques années plus tôt et le souffle vient parfois à manquer, mais l’engagement et l’impeccable diction laissent toujours rêveur. Des trois filles, Siobhan Stagg (Cordelia) est la meilleure chanteuse : elle livre une interprétation dynamique et de beaux aigus marqués au début, compensés ensuite par une fatigue touchante dans la dernière scène. La puissante Katja Pieweck (Goneril) convainc plus qu’Hellen Kwon (Reagan), juste de cruauté avant de mourir, mais dont la voix n’est pas assez en place dans la première partie. Chez les hommes, le casting de qualité montre une bonne homogénéité de laquelle se dégage l’Edgar traumatisé d’Andrew Watts et le dynamique Gloucester de Lauri Vasar (passé de la troupe de Düsseldorf à celle de Hambourg).
Dans un grand soir, le Philharmoniker Hamburg maîtrise parfaitement la partition. Très sollicitées, les percussions sont réparties entre la fosse et les coulisses, à droite de la scène, d’où elles semblent moins présentes. Les cuivres acides répondent avec justesse à des cordes tendues et nerveuses. Simone Youn semble surtout soutenir l’ensemble dans la première demi-heure, avant de s’impliquer plus dans l’interprétation pour faire ressortir le moment de l’exil et réussir une fort belle scène conclusive, sans chercher de pathos dans un ouvrage qui n’en propose jamais. Pour le compositeur venu saluer, c’est un triomphe, malheureusement devant un parterre seulement à moitié plein, ce qui prouve que si l’œuvre s’est imposée chez les connaisseurs, il reste encore à attirer le grand public.
VG