Chroniques

par bertrand bolognesi

Leif Ove Andsnes joue le Deuxième de Brahms
Gustavo Dudamel dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Salle Pleyel, Paris
- 5 octobre 2007
le jeune chef vénézuélien Gustavo Dudamel photographié par Magdalena Lepka
© magdalena lepka

Nous retrouvons les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France dans un festif Concerto pour piano Op.83 n°2 de Brahms. Au clavier, Leif Ove Andsnes ; au pupitre, Gustavo Dudamel. Voilà qui promet ! Et l'on n'est pas déçu : le jeune chef livre un Allegro non troppo altier, grandi dans le marbre, dont il sculpte posément chaque trait. Cette baguette redoutable à l'évidente autorité invite chaque instrumentiste à livrer le meilleur de lui-même. Le charisme de Gustavo Dudamel s'impose souplement et obtient un résultat tout à fait personnel. Le pianiste norvégien gère magistralement l'arche dynamique de ce premier mouvement, dans une profondeur de sonorité qui, en faisant fi du spectaculaire, retient immédiatement l'écoute. Le deuxième épisode gagne une couleur qu'on pourrait dire « huilée », tout en maintenant une articulation rigoureuse. L'expressivité pianistique domine, sans brio superflu. Plus subtilement, les premiers pas de l'Andante se font délicatement chambristes – laissant d'ailleurs entendre ce que les cordes de Richard Strauss sauront y puiser. Leif Ove Andsnes cisèle son discours dans la riche et chaude matière entendue au début, faisant oublier jusqu'à la notion d'articulation grâce à un legato onctueusement nourri. La seconde partie du mouvement se suspend à de savants clair-obscur orchestraux. À la battue d’affirmer la légèreté de l'Allegretto grazioso, dans une vigueur jamais démentie qui signe une pertinente vision d'ensemble. Dudamel ose des pianissimi risqués et parfaitement défendus que révèle d'autant plus le chant solistique.

En bis, l'Andante initial de Dans les brumes de Janáček, servi par une indicible et précieuse différentiation des frappes, une judicieuse pédalisation, une impulsion toujours inventive et, surtout, une contagieuse inspiration. Ce n'est pas du piano, c'est de la musique !

La Symphonie en la majeur Op.92 n°7de Beethoven occupe la seconde partie. Gustavo Dudamel en dirige une interprétation extrêmement leste que caractérise une très grande clarté. Les soli forment peu à peu une sorte de dessin dont le nuancier demeure sagement restreint, pour commencer. Bientôt, des contrastes plus drus révèleront d'autres humeurs. En étranglant la copieuse expression des gosiers toussifs, l'Allegretto est enchaîné sans marquer de pause, ce qui le rend d'autant plus saisissant. Le chef avance dans un désert qu'il investit progressivement d'une crue généreuse. Le Presto rend évident le pouvoir que sa gracieuse main gauche détient sur l'intention de chaque pupitre.

Pour décrire l'imparable technique de Gustavo Dudamel, l'on se souviendra d'un mot de Boulez lors d'une master class, le jeune homme surprenant son instrument comme le poisson du bocal. La reprise se fait irrésistiblement joueuse, dans un bondissement soigné. En un train d'enfer, le final s'emporte, fragilisant à peine l'orchestre. En même temps, cette poigne sait ménager à ce mouvement des instants d'une troublante inertie qui en rendent d'autant plus sensible l'effervescence. Si l'on n'a guère l'habitude d'entendre ainsi la Septième, de ce bouillant Achille de vénézuélien le goût est sûr et l'option fermement investie. Il n'est pas un initié mais un coiffé, un révélé – une évidence.

BB