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Chroniques
Leoš Janáček 1926
Pierre Boulez dirige l’Orchestre de Paris
Nous ne le redirons jamais assez à ceux qui croient encore que le grand chef français aurait cantonné son talent dans un certain répertoire, et qu’il découvrirait aujourd’hui d’autres horizons [lire notre critique CD Roméo et Juliette de Berlioz qui développe plus ce sujet] : dirigeant ce soir la musique de Janáček, Pierre Boulez n’y fait certes pas ses premiers pas. Au risque de paraître à la fois pédant et partisan (est-ce avoir le goût honteux ?), rappelons qu’il jouait la Sinfonietta aux côtés d’œuvres de Ives, Brahms, Weber et Stravinsky à New York il y a juste trente ans, et, moins d’une dizaine d’années plus tard le Capriccio à Paris.
Retrouvant l’Orchestre de Paris pour deux soirées, il ouvre les festivités par une Sinfonietta Op.60 fabuleusement rythmique. On y entend un pupitre de cuivres en perpétuel progrès qui s’avère particulièrement efficace dans une fanfare obsessionnelle tout à fait réussie. Après un appel impératif, une sonorité à la fois suave et solennelle développe le premier mouvement. L’Andante jouit d’une lecture fort nuancée, précise sans jamais perdre de vue l’ensemble. Le chef tire le meilleur de chacun, comme cette magnifique sensualité des violoncelles, par exemple, qui fait oublier quelques faiblesses des contrebasses, pas toujours fiables.
La pièce entière possède une sorte d’urgence jubilatoire, une spontanéité plaisante, parfois proche d’un trépignement d’impatience joyeuse : l’auteur la composait à soixante-douze ans et, s’il connaissait une nouvelle jeunesse et un enthousiasme amoureux à faire oublier les années, il n’en demeurait pas moins sur sa fin ; c’est tout cela que l’on perçoit dans l’interprétation d’aujourd’hui. L’Allegretto est enlevé, avec des contrastes relativement polis, et une souplesse de tempo qui s’associer des alliages de timbres chatoyants pour édifier un moment franchement lyrique. Enfin, dans le cinquième mouvement, les traits de bois, minutieusement réalisés, forment un dialogue dramatique avec les cordes. L’on goûte au fin dosage du crescendo distillé peu à peu jusqu’à l’éclosion de la redite de la fanfare initiale, avec un effectif chargé dont on perçoit la moindre note dans des fortissimi puissants. Comme Janáček en écrivant la Sinfonietta, Boulez affirme une fois de plus une énergie contagieuse… à soixante-dix-huit printemps.
Il y a cinq ans, il dirigeait la formation parisienne à Pleyel dans la Cinquième de Mahler et le Troisième Concerto de Bartók : au piano, Jean-Efflam Bavouzet, que nous retrouvons dans le Capriccio pour piano et instruments à vent du maître de Brno, composé en 1926, comme tout le programme de ce soir. Le pianiste offre une articulation parfaite des redoutables phrases d’ouverture, tandis que l’orchestre en petit comité commence de tour à tour dialoguer ou monologuer par ailleurs. L’Adagio est plaintif à souhait, peut-être plus dans le choix de la sonorité que dans des effets de mobilité du temps, assez proche du Concerto en sol de Ravel. Cependant, rien d’autant recueilli dans cette œuvre, elle aussi comme effervescente d’excitation. Pour l’Allegretto, Boulez construit une sonorité plutôt debussyste. La fin devient de plus en plus dramatique. Le chef assène les interventions du tutti avec une fermeté aussi glaçante que l’œuvre elle-même. Contrairement à la Sinfonietta, le Capriccio est donné d’une manière plus retenue, parfois sèche, en tout cas jamais anodine ou formelle.
Après l’entracte, l’orchestre au grand complet est rejoint par son Chœur, un orgue et quatre chanteurs pour la monumentale Messe Glagolitique. Leoš Janáček n’entendait pas faire œuvre pieuse en composant cette page, mais proposer un grand hymne à la jeune République Tchécoslovaque, hymne qu’il voulait faire retentir non pas sous la voûtes d’une cathédrale mais bel et bien dans un stade des sokols. Comparable à l’Opus 60 en son prélude de cuivres (Intrada) repris en guise de Finale, la Messe livre une vive illustration de nos propos précédents, Boulez parvenant comme par magie à nuancer même le quasi tonitruant de certains passages.
Plus à son aise dans ce répertoire que dans l’Alcina de Montpellier [lire notre chronique du 8 avril 2003], Elzbieta Szmytka sert l’œuvre d’un timbre extrêmement chaleureux, largement présent, qui bénéficie d’une appréciable homogénéité. Le ténor Herbert Lippert assume avec fidélité sa partie, bien qu’un peu couvert à certains moments par une écriture chorale des plus lourdes. Visiblement enrhumée, la basse Yuri Kissin connaît quelques difficultés et accuse des maladresses ; à sa décharge, il faut dire que la partition est plutôt traître, laissant attendre le chanteur longtemps, le temps de se refroidir, peut-être, avant de le solliciter, et pour quelques phrases à peine. Quant à Cornélia Oncioiu, dont les brèves interventions permettent peu de goûter le savoir-faire, on lui reconnaîtra des qualités de timbre suffisantes pour espérer la retrouver bientôt moins discrètement distribuée. Bravo à Philippe Brandeis qui donne un Varhani solo décoiffant !
BB