Chroniques

par bertrand bolognesi

Leoš Janáček par Alain Planès

Festival d'Aix-en-Provence / Hôtel Maynier d'Oppède
- 17 juillet 2007
Le compositeur Leoš Janáček
© dr

C’était hier la première française de la vision Chéreau/Boulez de l’opéra de Janáček, De la maison des morts [lire notre chronique]. Aussi paraîtra-t-il naturel de proposer aux festivaliers un récital tout entier consacré à la production pianistique du compositeur morave. On s’en souvient : Alain Planès enregistrait, il y a treize ans, un disque Janáček (Harmonia Muni) ; c’est exactement ce programme qu’il donne ici, dans la même succession.

Dans une réserve un rien feutrée, le pianiste cisèle un relief discret et ménage une couleur égale, salutairement avare d’effets, à Předtucha, le premier mouvement de la Sonate1.X.1905, inspirée à Janáčekpar la mort du jeune František Pavlík, blessé par l’armée autrichienne réprimant une protestation des étudiants de Brno. L’épisode suivant, Smrt (soit La mort), est donné dans un recueillement d’une grande et saine simplicité.

C’est, de fait, cette précieuse intériorité – on dira peut-être plus justement intimité – qui gouvernera l’ensemble du récital. Sur un sentier recouvert compte deux recueils regroupant des pièces conçues de 1901 à 1911 et jalonnant à leur manière la vie du compositeur. Alain Planès aborde ces pages dans une coloration plus romantique que celle choisie pour la Sonate, tout en circonscrivant adroitement son jeu à la sobriété. Pastoral Nos soirées, amabilité de l’ambitus dynamique d’Une feuille emportée, gracieuse ritournelle de Venez avec nous, miroitement mélodique léger, papillonnant, de La Viergede Frýdek à l’humeur centrale plus farouche, vigoureux babillage (où il semble que ne se disent pas que des sottises) d’Elles bavardaient en hirondelles, sonorité plus grasse pour La parole manque, debussyste, berceuse esquissée du bout des lèvres de Bonne nuit, maussade clopin-clopant d’Anxiété indicible, harmonie lisztienne et nuance schubertienne d’En pleurs, enfin climat plus contrasté, entre motif introspectif et choral chanté, pour La chevêche ne s’est pas envolée, adage de décès comme l’était Pressentiment dans la Sonate.

Dans le second cahier, le pianiste affirme un symbolisme et un lyrisme qui ne désavouent pas Chopin, tout en s’apparentant, d’une certaine manière, à des pages du jeune Scriabine. Apaisant moelleusement l’aigu d’habitude ingrat du Steinway, il laisse l’Andante initial s’épanouir dans une sonorité plus orchestrale (toute proportion gardée). Soulignant à peine l’obstinée volée de cloches de l’Allegretto qu’il achève dans un grand dénuement, l’artiste assume les rodomontades sentimentales et rococos de Paralipomena, avant d’engager la tonique sicilienne Allegro en mordant férocement le clavier. Le cycle se conclut dans la dynamique savamment travaillée d’un Vivo dansé.

Dernier moment de cette soirée, les quatre mouvements de Dans les brumes dépeignent moins qu’ils parlent, de sorte qu’ils rapprochent immanquablement l’écoute de l’opéra entendu la veille. Planès réunit dès l’Andante les aspects du piano de Janáčekprécédemment entendus. Chaque figure se trouve soigneusement ciselée. Au parfum discret qui, finalement, se radicalise dans la gravité de la deuxième pièce succède le pastel d’un Andantino dont la relative simplicité rejoint le recueillement du début du récital. Après quoi, l’étrange et hésitant récitatif Presto, répétitif et tournoyant, proche en cela du récit de Chichkov (De la maison des morts), suspend le jeu dans un grave grêle.

À l’enthousiasme du public, Alain Planès répond par l’une des trois gentilles Danses moraves (1892-1904), bientôt suivie par un second bis, la dernière page pianistique de JanáčekVzpomínka (1928), qui oppose tendresse à hargne fougueuse.

BB