Chroniques

par laurent bergnach

Les ailes du vent
spectacle de la Compagnie Le Grain

Opéra en Île-de-France / Théâtre Silvia Monfort, Paris
- 30 mars 2005
Les ailes du vent, un spectacle d'après Chants Indiens de Stockhausen
© f. desmesure

Pionnier de l'électroacoustique dans les années cinquante, Karlheinz Stockhausen est parti, quelques années plus tard, à la recherche d'une musique cosmique. Rien d'étonnant, donc, qu'il fut sensible à l'aspect religieux de American Indian prose and poetry, une anthologie éditée par Margot Astrov, dont il a tiré Chants Indiens, en 1972. « Il s'agit ici de poèmes qui furent récités, et probablement aussi chantés par des Indiens américains », explique le compositeur qui a transformé, complété et organisé ces textes selon un ordre qu'il juge significatif. Ainsi, les chants d'amour succèdent régulièrement à ceux de guerre ou de mort, mais en intercalant des sortes de contes – le passage en espagnol, notable dans un spectacle en langue anglaise –, des onomatopées, des cris… Le côté sacré de certaines psalmodies – on peut penser aux Cinq Rechants de Messiaen – rejoint le côté sauvage des expressions animales, tout comme la poésie se mêle au théâtral.

Depuis presque vingt ans, la Compagnie Le Grain travaille sur un théâtre de la voix. Son équipe, où se croisent chanteurs lyriques, comédiens, artistes de la danses ou du cirque, a déjà servi Scelsi, Berio, Aperghis… Pour Les Ailes du vent – expression indienne qui désigne l'oiseau –, Christine Dormoy a fait appel à quatre des huit chanteurs de l'ensemble vocal Neue Vocalsolisten. Sur une scène nue sans rideaux, une base d'échafaudage métallique culmine à plusieurs mètres du sol. Durant une heure et quart, caressés par la lumière crépusculaire de Dominique Mabileau, les artistes perchés vont occuper l'espace aérien, se déplaçant sur des tubes horizontaux et obliques, tournant avec des plates-formes circulaires ou se balançant sur un trapèze qui a tout du perchoir… Habillés de noir, ornés de pièces décoratives à base de plumes (pectoral, étole), ces drôles d'oiseaux chantent le plus souvent en duo : le mezzo Stéphanie Field avec le ténor Martin Nagy, le baryton Guillermo Anzorena avec la basse Andreas Fischer, au chant étonnamment limpide.

Si, sans forcer le trait, l'humour a sa place dans ce spectacle créé à Reims en novembre 2003, c'est l'émotion qui s'impose au final, lorsque le premier couple s'allonge sous le linceul d'un bûcher funéraire et que le second quitte la scène pour faire mourir son chant dans le hall du théâtre. On pensait que les nouvelles générations avaient survécu en quittant la plaine pour les gratte-ciels des métropoles, mais c'était un répit dérisoire : en un instant, tout un peuple vient de disparaître, avec son histoire et ses rites.

LB