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Chroniques
les Amériques d'Orléans
Florence Cioccolani, Toros Can et Wilhem Latchoumia jouent
Réunir trois des récents lauréats du Concours International de Piano d'Orléans dans un programme de musique américaine – « américaine » pris dans un sens large, c'est-à-dire non exclusivement étatsunienne – est une belle idée que l'on doit à Françoise Thinat. Pour ouvrir la soirée : un Nocturne de Barber sous la frappe délicate de Florence Cioccolani (lauréate en 2008), page néoromantique aussitôt contrariée par deux opus d'Elliott Carter, Intermittences et Caténaires. La clarté du jeu convainc aisément dans la première, tandis que la redoutable régularité qu'exige la seconde, proche d'une toccata, rencontre une réalisation satisfaisante. Pour fermer ce récital : eine kleine Mitternachtmusik – pas « kleine » du tout, en fait ! – écrite par George Crumb il y a sept ans, dans laquelle les us et coutumes du compositeur se démultiplient jusqu'à se faire tics et tocs.
Récompensé à Orléans en 1998, Toros Can ne déroge pas à son goût pour la musique de son temps, jouant ici celle de Ligeti, là celle de Carter, ailleurs encore celles de Boulez, Crumb ou Höller. Il commence la partie médiane du programme par la deuxième et la quatrième des Five Chromatic Dances imaginées par William Albright en 1976, un recueil rendant parfaitement compte de l'éclectisme postmoderne de son inspiration. L'invention debussyste d'une troisième main virtuelle dans la pédalisation se retrouve dans Masquerade, avec de nombreuses autres références au passé pianistique, de même qu'en Hoedown, vaillant carillon obsessif, Albright faisant brillamment feu de bois précieux. La vigueur expressive, la percussivité éclairée et la richesse de couleurs du jeu de Toros Can servent idéalement ces partitions.
Conçue en 2002 par le jeune Garrett Byrnes (né en 1971), Abstra est une pièce d'une dizaine de minutes pour piano et bande explorant un mode agressif qui recourt volontiers à d'énergiques clusters, tout en superposant des textures raffinées que révèlent de judicieux choix d'accentuation. Le travail électronique paraît curieusement relever plus d'un paysage que d'une nécessité issue de la pensée. L'œuvre se conclut dans un Choral dont contraste la quiétude, par l’inversion des brutalités, pourrait-on dire : encore un effet dans une partition qui en déborde.
Si Pf-MD-01, requérant lui aussi l'électronique et achevé la même année par le Mexicain Carlos Sandoval Mendoza, paraît plus terne de prime abord, c'est qu'il convoque moins le spectacle et invite une écoute plus profonde. Avec une maîtrise évidente de la conception avec électronique, issue de vastes questionnements sur la perception sonore, le musicien enveloppe l'auditeur dans la « tournerie » microtonale de sons imités du piano. Le pianiste Wilhem Latchoumia (lauréat 2006) demeure assez longtemps immobile devant le clavier, jusqu'à ce que la bande change de peau, muant d'un piano-jouet vers une armada de gamelans. En une résurgence lyrique à la respiration molle, l’instrument commence sa lente déambulation mélodique. Les couleurs se transforment encore, nimbant bientôt le toucher d'un appel d'oies sauvages… autant d'évocations demeurant plus indéfinies que vous le lisez là, bien sûr. « L'art n'a rien à voir avec les idées, mais avec la contemplation, les sens, la sublimation de différentes forces d'observation », confiait Carlos Sandoval Mendoza à Jean-Luc Menet en juin 2007. Sans volonté de séduire, et tout en affirmant une personnalité toujours présente, Pf-MD-01 interroge et peu à peu, absorbe.
Nous le disions en préambule : l'Amérique est tant étatsunienne que mexicaine ou brésilienne ; aussi ce concert se tourne-t-il vers Heitor Villa-Lobos et d'autres temps, puisque le Ciclo Brasileiro, duquel sont extraits Impressoes Seresteiras et Danza di Indio branco, date de 1937. Carter, selon certains commentateurs le plus européen des compositeurs nord-américains, intégra le sérialisme jusqu'à inventer sa propre langue ; Crumb regarde l'Europe au travers de citations ; Villa-Lobos développe un art nouveau, intégrant la culture indienne et l'enseignement musical du Vieux Monde. Wilhem Latchoumia [photo] use tour à tour de brio et de tendresse dans la première pièce (la deuxième du cycle) et transforme le piano en orchestre pour la seconde (la quatrième).
BB