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Chroniques
Les amours d'Alexandre et de Roxane – Don Juan
ballets pantomimes de Christoph Willibald von Gluck
Entre la danse baroque, désormais relativement présente sur les scènes, et le grand ballet romantique, les pantomimes de l'âge classique restent plutôt à l'écart. L'on ne peut que saluer l'initiative de l'Opéra-Théâtre de Metz de monter deux pantomimes de Gluck, en coproduction avec le Kinneksbond (Centre culturel de Mamer, au Luxembourg), dans le cadre d'une collaboration initiée il y a plusieurs saisons.
Si la grande pièce de la soirée sera Don Juan ou Le festin de pierre – d'ailleurs la partition conçue pour le ballet la plus développée du XVIIIe siècle (plus de trois quarts d'heure) –, le programme s'ouvre sur Les amours d'Alexandre et Roxane, créé trois ans plus tard, en 1764, au Wiener Burgtheater, dans la capitale de l'empire austro-hongrois. Si la musique prend parfois des allures de célébration un peu monochrome, la scénographie de Tommy Laslo privilégie l'épure. Meublé d'à peine quelques colonnes corinthiennes de toile, le plateau nu est teinté par les lumières presque diaphanes de Patrick Méeüs qui, au gré de l'action, modulent entre blanc, bleu, rouge et orangé. Au diapason de la réforme initiée par Gluck, qui entend débarrasser la musique dramatique de ses surcharges pour se concentrer sur l'essence de la vérité théâtrale, le spectacle fait abstraction de tout décorum historique. La chorégraphie de Laurence Bolsigner-May, dont la décantation n'aurait pas été reniée par le néo-classicisme d'un Balanchine, propose une habile synthèse de l'expression pantomime et des codes de la danse de cour, la première portée par le haut de corps, les seconds par le jeu des jambes et des levés de pieds, souvent emprunts d'un hiératisme égal. Dans sa limpidité, le travail des ensembles oppose les sphères masculines et féminines et rehausse, sur un piédestal transparent, le couple impérial incarné par Rémy Isenmann et Johanne Sauzade.
Après l'entracte, Don Juan utilise la même économie, mais dans un registre sensiblement différent. À l'inverse de la transparence dramaturgique des costumes de la première partie de soirée, Valerian Antoine et Brice Lourenço n'ont pas négligé d'en faire un élément de caractérisation, non dénué d'intentions tragi-comiques, en synchronie avec la pièce de Molière que le ballet de Gluck adapte. Pour être conditionnée par notes et pas, la gestuelle n'en oublie pas une certaine franchise expressive, plus ludique et incarnée, moins figée dans le marbre de la représentation antique que l'opus précédent, sans pour autant rompre le polissage de la conception scénographique. Ainsi le Sganarelle de Timothée Bouloy se fait-il parfois narquois, tout en restant passablement inoffensif. Kim Maï Do Danh se glisse dans l'aveugle amour d'Elvire, quand Lisa Lanteri se révèle saisissante en Âme du Commandeur, exact double du patriarche (Graham Erhardt-Kotowich), en noir et blanc – comme tout le visuel de ce drame qui manipule les oppositions manichéennes. Clément Malczuk assume le libertinage du héros, marivaudant avec Charlotte (Charlotte Cox) ou Mathurine (Veroñica Vasconcelos Da Silva), jusqu'à un final où flamboient les ténèbres.
Au delà de la réalisation scénique, c'est la partition de Gluck qui fait l'intérêt de ce Don Juan, servie avec soin par Florian Krumpöck et l'Orchestre de Chambre de Luxembourg, aux couleurs et aux intonations efficaces autant qu'équilibrées. Dans cet ouvrage plus développé que le premier pan du diptyque, ils trouvent une invention savoureuse à mettre en valeur ainsi qu'un éclairage sur la production lyrique de l'ère classique. Créée en 1761 au Theater am Kärntnertor à Vienne, un an avant Orfeo ed Euridice, l'œuvre élabore déjà une partie du fonds de l'opéra, à l'exemple de l'âpre chute du héros, qui sera reprise pour les Furies aux Enfers où l'aède cherchera son épouse défunte, tandis que Mozart se souviendra du Fandango, cité au troisième acte des Nozze di Figaro. En somme ce Don Juan innerve une partie du répertoire de la seconde moitié du dix-huitième siècle. Faudrait-il s'en étonner quand Gluck aborde un mythe aussi puissant ?
GC