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Chroniques
Les Boréades
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau
Alphise est reine et doit épouser un descendant de Borée, le Dieu des Vents. Elle aime Abaris, un jeune homme qui lui-même ignore sa naissance, et se trouve protégé par la bienveillance du prêtre Adamas. Calisis et Borilée, deux Boréades, se disputent ses faveurs, et surtout son trône, lui offrant des divertissements parfois suggestifs pour tenter de la charmer. Mais c'est d'Abaris qu'elle veut être l'amante. Seule solution : abdiquer, laisser son règne à d'autres, et s'adonner librement à ses amours. Borée et ses rejetons ne l'entendent pas ainsi. La tempête fait rage, le peuple a peur, et bientôt souffre. Le Dieu furieux impose un choix terrible à la jeune femme : la couronne et l'union avec l'un des deux prétendants, ou la condition d'esclave avec Abaris. La condition d'esclave, cela veut dire la soumission à n'importe quels outrages de la part des plus grands. De fait, Calisis et Borilée, dès qu'elle favorise cette voie, sont sur le point de l’outrager, peut-être plus de colère que de désir.
L'amant, d'abord abattu par l'adversité, reprend confiance et courage grâce aux invectives du prêtre. Alphise lui remet un trait, flèche dorée détentrice d'un pouvoir. Avec elle, il décide de combattre la colère de Borée. Son courage sera récompensé : frappés par ce fameux trait, le furieux et ses descendants s'effondrent. Apollon apparaît et vient tout expliquer. Le jeune inconnu est un fils qu'Il eut d'une belle nymphe elle-même fille de Borée. Après la mise à l'épreuve de son courage et de sa détermination – autrement dit son initiation – tout s'arrange, puisque étant Boréade, Abaris peut régner avec Alphise sur la Bactriane.
L'œuvre commandée à Rameau à son crépuscule par l'Académie Royale de Musique ne sera pas créée. Il est convenu de considérer la mort du compositeur comme responsable de ce manquement. Il n'en est rien: il suffit d'avoir raconté cette histoire pour comprendre que le pouvoir régnant n'avait que faire d'un ouvrage subversif. Les Boréades est donc mis de côté pour deux longs siècles, et c'est le Festival d'Aix-en-Provence qui en présentera la création scénique intégrale en 1982. Il entre aujourd'hui au répertoire de l'Opéra national de Paris.
Les maîtres d'œuvre de cette belle initiative sont Robert Carsen pour la scène et William Christie en fosse. Ce dernier présente une interprétation nuancée, qui va bon train, d'une grande subtilité expressive. Cependant, le travail des chanteurs pose problème. Deux styles s’y côtoient malencontreusement : une déclamation tout à fait française, sans vibrer le son, droite, pour certains, en accord avec la musique, et pour d'autres les excès dramaticolyriques d'un bel canto hors sujet. Il aurait été bienvenu de se mettre d'accord… Notre goût penchera pour une unité de style à la Française mais, quand bien même l'on aurait préféré chanté l'ouvrage, justifiant peut-être la démarche par le temps et l'histoire de l'art lyrique depuis le XVIIIe siècle, qu'au moins ce fût totalement belcantiste, alors. L'entre-deux est déséquilibrant, dessert l'œuvre autant que les interprètes. Chacun brille de ses qualités et habitudes, ce qui déjà n'est pas si mal.
Les Boréades à Garnier, c'est surtout un fort beau spectacle, construit par une mise en scène intelligente portant une vraie réflexion sur le miroir baroque, jusqu'à soulever la question des motivations souterraines de l'engouement de notre époque pour cette esthétique, triturant avec une irrévérence discrète, comprise dans l'œuvre elle-même qui développe une acerbe critique de son siècle, le narcissisme et la nécessaire fausse justification de nos assises politiques et de ses jeux de pouvoir. Le ballet s'y trouve alors judicieusement intégré, avec la complicité du chorégraphe Edouard Lock, ne faisant plus figure de divertissement gratuit et complaisant mais devenant bien plutôt sous-texte à l'action. La démarche repose sur une direction d'acteurs précise, réfléchie et d'une grande justesse. Bref, un Carsen des grands jours.
BB