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Chroniques
Les Boréades
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau
Si l’ultime tragédie lyrique de Rameau dut attendre 1982 pour gagner les planches, il semble que ce début de XXIe siècle se complaise à lui rendre les honneurs qui lui sont dus. Ainsi, après la fort belle production de Robert Carsen à Garnier [lire notre chronique du 6 avril 2003], la mise en scène lyonnaise que Laurent Pelly signait l’an passé, c’est aujourd’hui Laurent Laffargue qui présente sa vision des amours contrariées d’Alphise et Abaris à l’Opéra national du Rhin.
Deux univers s’y confrontent : la chasse et le cirque.
Le plateau s’en trouve envahi d’uniformes et de velours rouges, créant une atmosphère lourde d’une sensualité malsaine et dangereuse. La chorégraphie d’Andonis Foniadakis s’ingénie à inventer d’étonnantes figures, faisant suivre les péripéties métaphoriques des valets, cavaliers et possibles montreurs d’ours, tout au long d’une fête étrange et cruelle qui, parfois, forme autant de freaks par l’insolente association des corps. La présence d’un cheval parachève l’option, partant que l’équidé désigne immanquablement les univers susmentionnés mais aussi la parade des pouvoirs, sujet principal de l’ouvrage, sans qu’il suffise à traiter véritablement son indiscutable dimension politique. Outre de faire l’impasse sur cet aspect des Boréades, Laffargue néglige de faire vivre ses choix dans l’argument lui-même, de sorte que sa proposition s’épuise dès le milieu du deuxième acte. On attend vainement une révélation au fil d’une représentation qui s’achève dans les inoffensifs froufrous d’un joyeux Cancan.
Comme à Paris et comme à Lyon, les chanteurs ne se sont pas mis d’accord quant aux préoccupations de style, et la direction musicale semble ne s’y être guère intéressée. Une nouvelle fois, le résultat choque : Sémire, Borilée et Alphise affirment un franc bel canto, Adamas, Calisis et Abaris tentent la déclamation, tandis que la Nymphe et Borée s’évertuent à réconcilier les deux partis. Sur ce point, la négligence d’Emmanuelle Haïm n’a d’égales que l’imprécision et la platitude de son interprétation, conduisant un Concert d’Astrée vertigineusement approximatif dans une symphonie absurde qui va son cours tant bien que mal.
La distribution vocale surprend à plus d’un titre.
Éric Laporte (Calisis), vaillant Dardanus l’an dernier à Bonn [lire notre chronique du 22 avril 2004], accuse des faiblesses décuplées. Si l’ornementation paraît joliment naturelle et la diction satisfaisante, la justesse se montre largement aléatoire dès le haut-médium. Son rival Borilée bénéficie de la présence vulgaire de Nicolas Cavallier qui se fourvoie dans un chant à l’emporte-pièce. Anne Lise Sollied campe une Alphise relativement mièvre qui introduit plutôt bien l’exécution mais qui s’avérera sans nuance jusqu’à la fin ; avantageusement mené, le legato vient tellement lisser l’expression qu’on ne s’intéresse guère au sort de la reine.
Delphine Gillot est plus convaincante en Sémire, avec un timbre net, une intonation fiable et une irréprochable diction. De même saluerons-nous le Borée d’Andrew Foster Williams, sonore, intelligible et efficace, et la Nymphe de Kimy McLaren dont la couleur vocale renferme des richesses qu’on souhaite pouvoir découvrir bientôt. C’est une nouvelle fois Paul Agnew qui interprète Abaris, un rôle qui lui va comme un gant et qu’il sert d’un art subtil auquel on ne saurait être indifférent, même si le ténor n’est pas dans une forme exceptionnelle. Enfin, on retrouve Thomas Dolié, le Borilée de Lyon, en Adamas : un rien précautionneux lors de sa première intervention, jusqu’à laisser supposer une curieuse inégalité de l’impact vocal, le baryton laisse s’épanouir par la suite le cuivre de son timbre, composant un personnage qui n’a rien de rassurant.
BB