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Chroniques
les compositrices pionnières
Bingen, Mendelssohn, Schumann et Strozzi
Il y a quelques jours, l’Allemagne remportait sa quatrième Coupe du monde de football, cent ans après avoir été au cœur d’un conflit international sans précédent (Japon et Royaume-Uni lui déclarent la guerre en août, tandis qu’elle-même défie la Russie puis la France, etc.). Autour de 1914 apparaît comme la thématique principale de cette vingt-neuvième édition du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon, avec des concerts de compositeurs morts sur le front (Devaere, Boulnois) ou simplement joués à l’époque dans les salles allemandes (Wagner, Brahms, etc.).
Les compositrices pionnières sont également à l’honneur, à travers deux récitals. Hier, la pianiste Edna Stern jouait Beach, Montgeroult et Schumann, tandis que le Trio Dali offrait des pages de Boulanger et Canat de Chizy. Aujourd’hui, le programme n’aborde pas le XXe siècle mais permet de remonter plus loin encore dans le temps, avec cinq des soixante-dix-sept pièces écrites par la bénédictine et femme de lettres mystique Hildegard von Bingen (1098-1179), sur ses propres textes. Quatre chanteuses de l’ensemble Mora Vocis (Els Janssens-Vanmunster, Caroline Marçot, Céline Boucard et Hélène Richer) font entendre plusieurs natures de voix, de la plus sombre à la plus radieuse, dont l’équilibre remporte un grand succès auprès du public. Rappelons que le nom de la formation fait référence à l’ultime instant où le chantre médiéval vocalisait pour le plaisir d’exprimer, à la fin de son texte, le reste de souffle – faisant alors vivre la musique pour elle-même.
Des siècles plus tard, loin de la Rhénanie, naissait Barbara Strozzi (1619-1677) [lire notre chronique du 10 octobre 2008]. Fille adoptive du poète et librettiste Giulio Strozzi, la jeune élève de Cavalli publie le premier de ses huit livres de madrigaux à l’âge de vingt-cinq ans. Les trois airs de ce soir appartiennent à Diporti di Euterpe Op.7 (1658), respectivement sur des textes de Giovanni Tani, Pietro Dolfino et Marc’Antonio Corraro. D’emblée, Tradimento permet d’apprécier l’agilité d’Hasnaa Bennani, soprano corsée au grand souffle. Lagrime mie confirme les atouts de « la plus belle fleur » de La pépinière des voix 2011 [lire notre dossier] : une voix charnue, maitrisée sur toute l’étendue de la tessiture, ainsi qu’une expressivité discrète. Enfin, Così non la voglio est l’occasion d’apprécier la dynamique des autres membres du trio, Étienne Mangot (violoncelle) et Laurent Stewart (clavecin).
Ces artistes alternent avec Sophie Karthäuser, mozartienne reconnue qui célèbre ici Fanny Mendelssohn (1805-1847) et Clara Schumann (1819-1896). De la sœur de Felix, femme contrariée dans son essor créatif par les desiderata familiaux, elle choisit Cinq Lieder Op.10, Sehnsucht nach Italien, Italien Op.8 n°3 et Gondellied Op.1 n°6. De l’épouse de Robert, elle livre Six Lieder Op.13 et Trois Rückert Lieder. Accompagné par le piano leste et souple d’Edna Stern, le soprano belge ne trouve une plénitude relative qu’en seconde partie de récital. La première, en effet, ne convainc guère, où apparaît un chant certes nuancé et expressif, mais également serré, sinon étriqué, un rien métallique.
Le programme de 18h préparait à la soirée en compagnie de l’Orchestre national de France qui, à la suite du récent Zingari [lire notre chronique de la veille], fait également une place à la voix. En l’occurrence, il s’agit de celle du baryton Adam Plachetka. Dans Liebeszauber (1914), une pièce rare signée Rudi Stephan (1887-1915), l’auteur du « mystère érotique » Die ersten Menschen (1920) [lire notre critique du CD], et dans trois Lieder de Schubert orchestrés par Max Reger (1873-1916), le Pragois peut faire entendre ses atouts (stabilité, charisme) comme ses faiblesses (rugosité parfois, et absence de nuances).
LB