Chroniques

par katy oberlé

Les contes d’Hoffmann
opéra-comique de Jacques Offenbach

Suomen Kansallisooppera, Helsinki
- 11 novembre 2018
L'excellent Franco Pomponi est Lindorff des "Contes d'Hoffmann" à Helsinki
© heikki tuuli

Le théâtre dans le théâtre est encore ce que l’on trouve de mieux à faire quand on se voit confier la mise en scène des Contes d’Hoffmann : c’est ce que prouve à nouveau la proposition brillante de Johannes Erath pour la Semperoper de Dresde, reprise actuellement par l’Opéra national Finlandais (Suomen Kansallisooppera). Comme d’habitude, Erath ose prendre des risques, ce qui aurait sans doute plu à Offenbach qui n’acheva pas son chef-d’œuvre (on a choisi ici l’édition de Jean-Christophe Keck et Michael Kaye, vraisemblablement assez proche du projet du compositeur). Avec une franche pincée d’absurde, il rend plus savoureux cet ouvrage qui l’est déjà à la base, et, par une ambiance de revue et de cinéma, il surexcite les arguments successifs de l’opéra, vus comme un échec érotique résumé à la fascination qu’exerce l’éternel féminin. Le reflet de la salle sur le plateau pose la question d’un rôle du spectateur dans le déroulement de la représentation ou dans la genèse d’une œuvre, selon qu’elle répond à des modes en vogue, qu’elle tente d’instaurer de nouvelles tendances, comme on dit dans le milieu de la haute couture, ou qu’elle n’obéit qu’à une nécessité esthétique forte, intime, loin de ces considérations. Parfois, c’est plus compliqué, puisque tout cela peut concourir ensemble dans le but vers lequel une œuvre tend – et en particulier Les contes d’Hoffmann, justement !

Toujours précis dans ses partis pris, comme l’ont montré ses travaux passés [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera, Make no noise, Beatrice Cenci et Otello], Johannes Erath s’intéresse de près à la psychologie suicidaire du premier rôle, qu’il met habilement en perspective dans le décor d’Heike Scheele : trois niveaux de jeu s’offrant en profondeur, comme en coupe, reliés entre eux par la ronde des personnages, joliment costumés par Gesine Völlm, et des tiroirs de morgue. Le thème de l’immortalité est au cœur de ce spectacle caractérisé par une surenchère d’activité, une fièvre, une ardeur sans cesse plus brûlante à vivre sans relâche ce qui menace d’être le dernier instant. La pièce sort du cadre et interagit souvent avec les loges d’avant-scène, brisant la frontière et chatouillant le confort où croit s’être installé le mélomane. Des vidéos complètent ce brouillage intéressant (Alexander Scherpink). Après plus d’un demi-siècle d’absence dans cette maison, voilà donc que ces Contes y réveillent les morts !

Un cast vraiment efficace donne beaucoup de satisfaction, malgré de sérieux problèmes de diction française. Dans le rôle-titre, Mika Pohjonen apporte une bravura des grands soirs et une présence théâtrale étonnante, que ne lui dispute que le baryton Franco Pomponi, chargé des méchants Lindorff, Coppelius, etc. Encore embellie avec les années, la voix s’affirme plus puissance, et le chant est souple, ce qui permet à l’artiste d’en faire ce qu’il veut [lire nos chroniques du 15 avril 2005, du 30 mars 2008, des 23 juin et 12 décembre 2011, du 18 avril 2012, enfin des 28 avril et 19 juillet 2013]. Bravo à Rocío Pérez pour son Olympia divinement acrobatique [lire nos chroniques du 30 avril 2015, du 9 janvier 2016 et du 19 mars 2017] ! À l’excellente Measha Brueggergosman revient le rôle de Giulietta dont elle s’acquitte avec une élégance hors concours [lire nos chroniques du 9 février 2018 et du 8 octobre 2010]. On retrouve aussi Helena Juntunen qui incarne une Antonia attachante et délicate [lire nos chroniques du 9 mai 2010, du 29 juin 2013 et du 13 mars 2017]. La Muse n’est pas en reste, grâce au chant magistral de Jenny Carlstedt. En fosse, l’admirateur passionné de la musique française romantique Patrick Fournillier en fait trop, aïe… Le résultat n’est pas des meilleurs, dommage.

KO