Chroniques

par françois cavaillès

Les contes d'Hoffmann
opéra-comique de Jacques Offenbach

Festival de Saint-Céré / Halle des sports
- 12 août 2018
Les comtes d'Hoffmann (Offenbach) au Festival de Saint-Céré 2018
© dr

De nouveau l'esprit alambiqué des Contes d'Hoffmann frappe fort sur Saint-Céré, et son prélude, comme l'éclair, manque d'effondrer les belles terres du Lot. En cette soirée placée sous la menace d'un violent orage – peut-être à propos pour narrer démons et sombres amours, sujets de la grande œuvre posthume d'Offenbach (créée en 1881, quelques mois après la mort du compositeur) –, le drame électrique tombe du plafond de la Halle des sports, accueillante alternative, très correcte pour le lyrique, au superbe château de Castelnau-Bretenoux. Pour la troisième mise en scène de ce fleuron de l'opéra-comique par le directeur du festival, Olivier Desbordes, allié pour cette production à Benjamin Moreau [lire notre chronique de la veille], l'inspiration visuelle puise dans le film Lola Montès (1955) de Max Ophuls, ses costumes typiques du monde circassien et sa piste aux étoiles. Avec en exergue l'invitation à l'ivresse de Baudelaire, les notes d'intention traduisent l'envie de prendre tous ensemble un comprimé de rêve, avec le soin aussi de « nous rapporter à la version Choudens en y restaurant les dialogues parlés et [d']être ainsi plus fidèle à la forme opéra-comiquequi inspira son écriture ».

Même contenu dans un espace scénique moindre que prévu, le feu d'artifice attendu, crépitant dans le clair-obscur entre le brave Hoffmann, d'une pâleur alcoolisée, et le Diable, au long manteau noir, survient plus certainement que la grêle. Mais tout compte fait, le meilleur effet, si divin, est procuré par l'Orchestre Opéra Éclaté, sous la direction de Mehdi Lougraïda. Pour son baptême du feu à l'opéra, le jeune chef d'origine marocaine offre un cadre musical exquis aux personnages à l'heure de leur entrée, de leurs grands airs ou de leurs vrais émois (ainsi, quand Hoffmann contemple pour la première fois Olympia, puissance et maîtrise règnent-elles dans le prélude au cor délicat).

Les voix se corsent en accord avec l'intrigue, à commencer par Christophe Lacassagne, baryton gouailleur, brillant dans les couplets de Lindorf, capable ensuite, en d'autres clameurs démoniaques, de percer comme une lame froide et dure [lire nos chroniques des 11 août et 12 février 2016, du 13 janvier 2012, du 10 mars 2006 et du 21 décembre 2003]… Drôlerie et charme obscur sont sécrétés par la musique vive et spirituelle d'Offenbach, dans une ambiance de numéros de bateleurs, avant qu'une belle lumière bleutée et une bourrasque instrumentale ouvrent les portes de la taverne de maître Luther à Nuremberg (Acte I). En fait, l'atmosphère du lieu repose moins sur le décor que sur l'assemblée de messieurs en gibus, pleine du peps du Chœur Opéra Éclaté ! De l'auditeur ravi le souffle est coupé net par chant mutin et joliment orné du mezzo Inès Berlet, Nicklausse des plus gracieux [lire notre chronique du 28 décembre 2015], puis par l'époustouflante Légende de Kleinzach, tonique et swinguée mais encore fort mélodieuse grâce au ténor Jean-Noël Briend, émouvant rôle-titre, bien qu'annoncé souffrant [lire nos chroniques de Der fliegende Holländer, Colomba et Benjamin, dernière nuit].

L'ultime plaisir vocal provient du soprano Serenad Burçu Uyar, engagé dans le grand triple rôle de la femme aimée. D'une largeur remarquable, elle est merveilleusement juste dans la chanson d'Olympia, excellente au duo Giuletta/Hoffmann, enfin déchirante dans celui d'Antonia et son amant. Les plus beaux airs lui reviennent dans cette dernière héroïne à la détresse si touchante, puis, au plus tragique, somptueuse – en témoigne une monstrueuse ovation [lire nos chroniques du 18 février 2006, du 18 décembre 2015 et du 9 mars 2018]. Au candélabre tricéphale d'Hoffmann vacille la flamme amoureuse bercée par des chœurs éthérés ou chaloupés, chahutée par d'étranges personnages secondaires que tiennent de très bons comédiens – en tête le très excité Lionel Muzin en Spalanzani, le savant fou, Josselin Michalon en Luther et Crespel, la verve audacieuse du ténor Éric Vignau dans la chanson du valet Frantz [lire nos chroniques du Roi Carotte, Madama Butterfly et Don Carlo], enfin le clair baryton Yassine Benameur en Hermann, puis Schlemil.

Ainsi poursuit-on sans relâche le rêve d'Hoffmann.
La lueur d'espoir guidant l'artiste brille de mille feux lors de l'épilogue, savourant ce coup de génie qui montre les acteurs du dernier acte retourner soudain leur rôle comme un gant. Ils s'expriment, en effet, comme des spectateurs qui commenteraient le spectacle à la sortie. Dans une profusion lyrique rare à l'opéra-comique, ces Contes retracent essentiellement le sort du créateur incompris. Triste fin, certes, lorsqu’à bout de ressources, litron en main, Hoffmann s'éteint, avachi. Le public s’unit dans la reconnaissance du chantre romantique – pour toujours, semble-t-il, si l'on osait un jugement de valeur. Finalement, la sincérité et la force du geste artistique triomphent. Et surtout, qu'importe à l'homme d'esprit (et de panache) le trivial souci de l’issue ou de l’heure ?!

FC