Chroniques

par laurent bergnach

les créations du Quatuor Arditti
Harrison Birtwistle, Brian Ferneyhough et Hughes Dufourt

Festival d'Automne à Paris / Amphithéâtre Bastille
- 28 octobre 2009
le Quatuor Arditti joue Birtwistle, Ferneyhough et Dufourt
© dr

Figure familière de la création musicale, le Quatuor Arditti fête cette année ses trente-cinq ans de carrière (mine de rien…). On n’en finirait pas de recenser le nom des compositeurs qui firent confiance à cette formation conduite par le violoniste Irvine Arditti, et les centaines de partitions qui lui furent dédiées depuis 1974. Pour la particularité de son Helicopter String Quartet, citons au moins Stockhausen [lire notre critique du DVD], Jonathan Harvey, dont la musique contemplative vient de faire l’objet d’un double enregistrement chez æon, et Wolfgang Rihm, joué ici le 17 novembre prochain.

Au côté du premier violon, on retrouve aujourd’hui Ashot Sarkissjan (qui chemine quelque temps avec l’Ensemble Contemporain avant de succéder à Graeme Jennings, en juin 2005), l’altiste Ralf Ehlers (recruté en janvier 2003) et le violoncelliste Lucas Fels, ce membre fondateur de l’Ensemble Recherche, en 1985, étant le plus récemment arrivé.

Dum Transisset I-IV, la plus courte des trois œuvres au programme, ouvre la soirée. Brian Ferneyhough compte plus d’un quatuor à cordes à son catalogue, genre apprécié parce qu’il offre « un large éventail pour l’approche de l’expression et de la forme » et représente « un enjeu perpétuel pour les compositeurs pour repenser et enrichir leurs moyens ». Celui-ci, qui s’inspire de pièces pour violes écrites par Christopher Tye durant la Renaissance, fut créé par la Quatuor Arditti au Festival de Witten, en avril 2008. Ses quatre mouvements sont nettement caractérisés. Reliquary présente un affairement organisé où chaque voix se découpe clairement, menant à une sorte d’ivresse somnolente. Plus chaotique, Totendanz lui succède ; chaque instrumentiste cherche maintenant à s’imposer au détriment de son voisin. Le conflit se clôt mezza voce durant Shadows, laissant la place à l’ultime Contrafacta. Avec énergie, les forces s’allient pour d’harmonieux tutti – une recherche d’osmose après la symbiose.

Présentée au public deux mois après l’œuvre de Ferneyhough, The Tree of Strings évoque l’île de Raasay, lieu de retraite artistique d’Harrison Birtwistle (né en 1934) où naquit le poète Sorley MacLean (1911-1996), si important pour une renaissance écossaise soucieuse de préserver la mythologie et les langues déclinantes. Bien entendu, ce travail sur les contrastes ne cherche pas à peindre de paysage, même si les sonorités semblent souvent ouvrir un horizon. Les émotions balayent les descriptions : timidité des premiers accords, plaintes solistes auxquelles répond l’ensemble avec douceur, affolement qui n’atteint jamais l’inquiétude car il se sait passager, lutte menée avec espoir, etc. Le violoncelle y tient une place particulière : souvent alternant ou dialoguant avec les autres cordes, c’est lui qui frappe, aux trois quarts du parcours, ces coups brefs « sur la porte du malheur ». Les instrumentistes s’étant alors éloignés du centre pour s’assoir, tour à tour, à la périphérie, c’est lui également qui clôt la pièce, avec son thème obstiné.

Troisième création de l’année 2008 pour le Quatuor Arditti (au festival Musica), Dawn Flight permet à Hughes Dufourt (né en 1943) d’approcher une forme jugée peu attirante. Il y voit l’occasion de synthétiser son travail passé, de privilégier le rythme plutôt que la couleur. Pourtant, en amont d’une demi-heure musicale, cette suite de crescendos délicats révèle des moires resserrées, semblables aux touches d’un peintre miniaturiste qui gagnent en assurance – c’est d’ailleurs une œuvre du peintre Stanley Hayter (1901-1988) qui donne son nom à la partition. Plus nerveuse, la suite dessine des lignes fréquemment brisées, mettant en valeur la maîtrise des instrumentistes, avant qu’ils ne livrent d’ultimes et fragiles scintillements.

LB