Chroniques

par bertrand bolognesi

Les fêtes vénitiennes
opéra-ballet d’André Campra

Opéra Comique, Paris
- 26 janvier 2015
Marc Mauillon dans Les fêtes vénitiennes, opéra-ballet d'André Campra
© vincent pontet

Créé au printemps 1710 à l’Académie royale de musique, Les fêtes vénitiennes est le onzième ouvrage lyrique d’André Campra, alors quinquagénaire. Tout comme Le carnaval de Venise qui le précéda d’une dizaine d’années, il s’agit d’un opéra-ballet rythmé de séquences courtes qui mettent en scène le théâtre lui-même, jouant de la réalité comme d’un miroir de l’illusion, selon une démultiplication toute baroque du reflet. Au fil de ses trois entrées – Le bal, Les sérénades et les joueurs, enfin L’opéra – précédées d’un Prologue, la cité des doges est prétexte idéal à un art du faux où l’être s’identifie aux passions comme pour s’en mieux désunir.

Aussi peine-t-on quelque peu face à l’absence d’inventivité du spectacle de Robert Carsen qui, encore et toujours, décline les mêmes motifs ne faisant désormais plus sens (les touristes à San Marco, l’armada de chaises, nouvelle collection de sous-vêtements, coupes à bulles, etc.). Tant pis… mais ne boudons pas : l’incarnat qui domine demeure séduisant (décors de Radu Boruzescu), de la salle le fil d’or cisèle le regard (costumes de Petra Reinhardt), dans l’œil à facettes de Peter van Praet qui signe les lumières avec Carsen lui-même. À défaut d’emporter l’adhésion par la virevoltante beauté que peut-être l’on en attendrait, la chose plaît par un joli métier.

Il en va tout autrement de la chorégraphie ô combien passionnante d’Ed Wubbe qui vous tient en haleine, suspendant le souffle à l’élan mi-figue mi-raisin des danseurs du Scapino Ballet Rotterdam, tour à tour moutons folâtres ou ruffians irrésistibles et fantasques, voire courtisanes à barbe ! Dans cette œuvre où la musique le dispute à la danse (littéralement, comme en la Scène 2 du Bal), une telle fantaisie se fait du propos le moteur, rehaussant d’une diablerie bienveillante (quoiqu’au charme à peine irrévérencieux) les mystères d’une fosse génialement agitée.

Et quelle fosse ! À la tête de ses Arts Florissants, William Christie retrouve l’ami Campra dont à l’ainsi servir il fait probant éloge. Entendit-on jamais bois si précieux, musettes si tendres ? Danse et couleur emportent les pupitres, faisant sonner au cœur bleu du plafonnier leur opalescence ravageuse. Saluons hautbois et bassons, théorbe et clavecin, mais encore Marie-Ange Petit aux percussions. Cette gibelotte prétendument lagunaire voit ses délices enchéries par l’enchantement d’un chœur plus qu’avisé.

La première de cette coproduction – qui à l’Opéra Comique associe le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV), le Théâtre de Caen et le Capitole de Toulouse – prête à chaque voix plusieurs parties, comme l’y invite une partition assez dispendieuse en la matière (plus de vingt rôles). Ainsi nos chanteurs voyagent-ils d’une entrée à l’autre – le jargon du temps appelle « entrée » une partie nouvelle, à comprendre comme synonyme (structurel mais non dramaturgique) de l’acte. Globalement satisfaisante, la distribution souffre cependant de trois impairs… qu’il conviendra de taire, se laissant plutôt attacher par les meilleurs gosiers ! Applaudissons donc de bon cœur l’impact généreux d’Emmanuelle de Negri (La Raison, Lucile, Lucie), le timbre caressant de Reinoud Van Mechelen (Thémir, Zéphyr), le chant élégant de Marc Mauillon (Alamir, Damire), l’exemplaire précision, la diction et la présence idéalement incisive d’Émilie Renard (La Folie, Isabelle), enfin – et surtout ! – l’excellent Cyril Auvity, particulièrement à son aise (Maître de danse, Adolphe). Dès le mois prochain, Les fêtes vénitiennes partiront en tournée ; si ce n’est à Paris (à l’affiche jusqu’au 2 février), vous les pourrez donc voir à Toulouse (du 23 au 28 février), puis à Caen (les 1er et 2 avril), et même à New York (du 13 au 17 avril).

BB