Chroniques

par monique parmentier

Les Folies Françoises et Patrick Cohën-Akenine
la musique de la Chambre du Roi

Galerie des glaces / Château de Versailles
- 26 septembre 2011
Les Folies Françoises et Patrick Cohën-Akenine
© dr

Même le lundi, son jour de fermeture, le château de Versailles est une ruche qui vibre de toutes parts. Il y devient alors possible d’organiser des concerts dans les Grands Appartements. Ce soir, c’est la Galerie des Glaces qu’investit le second concert événement du prologue de la saison d’automne du CMBV, consacré à Louis XIV. Après la musique de la Chapelle Royale, samedi précédent donné par Olivier Schneebeli [lire notre chronique du 24 septembre 2011], Les Folies Françoises, sous la direction du violoniste Patrick Cohën-Akenine, offre un moment exceptionnel avec la musique de Chambre du Roi.

Pour ce faire, les artistes ont employé le magnifique travail de lutherie entrepris depuis 2008 pour reconstituer l’orchestre à la française. Les fameux vingt-quatre violons du roi sont aujourd’hui au complet. Pour réaliser son rêve, Patrick Cohën-Akenine s’est appuyé sur le CMBV et deux artisans passionnés : Antoine Laulhère et Giovanna Ghittó. Aux quatre haute-contres, quatre tailles et quatre quintes de violon déjà restitués, il manquait encore six dessus de violon. Ce n’est désormais plus le cas.

Le programme de cette soirée se décline autour des compositeurs de la seconde partie du règne du Roi Soleil. Il s’agira d’extraits d’opéras et des symphonies qui purent agrémenter les soupers au « Grand Couvert » du souverain. Ce dernier ne dansait certes déjà plus, mais aimait particulièrement la musique et demandait à ses vingt-quatre violons de rythmer la vie de cour.

Les trois compositeurs retenus semblent accompagner le soleil sur son déclin. L’incontournable Lully, tout d’abord, avec des extraits d’Acis et Galatée, pastorale héroïque qui est son avant-dernière œuvre achevée ; puis Marin Marais avec des extraits d’Alcyone ; enfin Lalande [photo] et des mouvements de ses Symphonies pour les Soupers du Roy.

Les Folies Françoises et leur chef recréent avec fougue toute l’opulence du faste de cette musique. Tout y danse avec ivresse. Les cordes sont voluptueuses et rayonnantes. Il en émane une énergie vivifiante ou une immense tendresse, comme dans la Symphonie du Sommeil d’Alcyone où le dessus de Patrick Cohen-Akenine envoûte par un tendre chatoiement. L’archer s’y fait plume aussi légère que les volutes des songes éphémères. Quant à la tempête d’Alcyone, elle siffle avec rage, déchire les nuages pour s’apaiser en un murmure.

Tout est splendide dans cet orchestre, en particulier le basson de Christophe Lewandowski qui arbore des nuances subtiles, d’une somptuosité à couper le souffle. Dans les Symphonies pour les Soupers du Roy, dialoguant avec les hautbois, le clavecin et les cordes, sa fulgurante mélancolie nous étreint à plusieurs reprises. La noblesse des tambours et les tambourins festifs viennent enrichir le tissu sonore. Dans Acis et Galatée, en un soupir les flûtes évoquent ce temps de l’innocence qui file, tandis que castagnettes, guitares et théorbes transmettent l’ardeur du tourbillon des chaconnes et passacailles

Ce programme si délicatement construit redonne vie aux ombres. Le temps s’est écoulé. D’Acis et Galatée aux Symphonies pour les Soupers du Roy, le règne s’est obscurci, mais la danse y libère encore les cœurs du poids des ans. Et sous la direction claire, souple, délicate et élégante de Patrick Cohën-Akenine, les musiciens rendent avec virtuosité tout le brillant et l’obscure clarté de l’orchestre du Roi Soleil. Aucun autre endroit que la Galerie des Glaces n’aurait pu mieux leur permettre de développer la palette sonore de cet instrument unique.

Deux bis concluent la soirée. À Jean-Jacques Aillagon, président sortant du Domaine de Versailles (présent ce soir), le chef dédie avec beaucoup de chaleur la reprise des Matelots de Marin Marais. Jusqu’à la fin les musiciens procurent au public une vision habitée d’une musique que certains croient encore superficielle. Bien au contraire : grâce à eux, elle retrouve son âme, celle des émerveillements de l’Ile Enchantée.

MP