Chroniques

par monique parmentier

Les Folies Françoises ont dix ans
Lully ou la quintessence de l’émotion

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 26 mai 2010

Cette année, Les Folies Françoises fêtent dix ans d’existence. Pour l'occasion, Patrick Cohën-Akenine, son chef-fondateur, offre un concert exceptionnel autour des Vingt-quatre violons du Roy. Il y a deux ans, en collaboration avec le CMBV et deux luthiers passionnés, Antoine Laulhère et Giovanna Chittó, il avait fait réentendre la palette somptueuse et variée de l'orchestre de Lully, chantre du roi Soleil.

En 2008, c'était autour des premières œuvres du tandem Lully/Quinault qu'il avait proposé cette redécouverte (dans la Galerie des glaces, à Versailles). Bouclant la boucle, il revient avenue Montaigne avec des extraits des dernières tragédies lyriques de ce même tandem – Roland, Amadis et Armide –, ainsi que de la pastorale héroïque Acis et Galatée, dernier ouvrage du compositeur, écrit en 1686 sur un livret de Jean Galbert de Campistron. Le doute n'est plus permis : aucun instrument que cet orchestre « à la française » ne pouvait mieux servir ces textes à la poésie si tendre et tragique des deux librettistes.

La direction souple, lyrique et toute en nuances de Cohën-Akenine fait de ses musiciens virtuoses des acteurs. Chaque instrument prend part au drame, ne se contentant pas d'accompagner les chanteurs. Ils apportent des couleurs toutes plus riches et délicates les unes que les autres. Les cordes sont incisives ou mordantes pour exprimer la colère et les éléments déchaînés, soulignant la lumière et les ombres qui oscillent au gré du sentiment, entre chagrin, douleur, séduction et bonheur. Théorbe, clavecin et viole de gambe deviennent tout à tour des compagnons attentifs exprimant une poésie dolente et raffinée. Hautbois et flûtes sont élégiaques et spirituels, et du basson émane une tendre suavité. Dans les passacailles d'Armide et plus encore d'Acis et Galatée, la clarté des articulations du tutti, la souplesse de ses phrasés, emportent l'amour vers la fatalité du destin.

La distribution est resplendissante. Isabelle Druet, Sébastien Droy et Lisandro Abadie mettent en relief, avec sensibilité et élégance, les affects des personnages. Engagés scéniquement, ils font vivre avec passion ces héros et ces héroïnes de la mythologie, de l'Arioste, du Tasse et des légendes médiévales. Phrasé, éloquence, souplesse et musicalité font vivre intensément les tragédies qui se nouent, de la sensualité à la folie, de la haine jusqu'à la rage de la jalousie, bref : les tourments de l'amour.

D'une grande beauté, les trois timbres se marient avec justesse. Isabelle Druet se fait piquante ou maléfique, coquette ou amante désespérée. Avec des graves sombres et une puissante projection puissante, Lisandro Abadie est un Polyphème terrifiant et un Roland qu’égare la fureur des sentiments. Le timbre clair et moelleux de Sébastien Droy fait d'Amadis et d'Acis des amants raffinés. Leur interprétation commune des extraits d'Acis et Galatée est d'une foudroyante intensité mélancolique. Leurs voix font revivre les heures de gloire de ce Soleil que Lully servit sans réserve. Mais loin de l’amour de la vie et de la jeunesse présent dans Cadmus et Hermione, Galatée et Acis ne s'aimeront éternellement qu'en se rejoignant dans la mort.

La virtuosité des musiciens et des chanteurs démontré que loin des idées reçues liées en partie à la personnalité de Lully, sa musique peut être la quintessence de l'émotion.

MP